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12 novembre 2019

Revue TELECOM 194 - La naissance de la messagerie électronique Wanadoo par Roger Courtois (1966)

LA NAISSANCE DE LA MESSAGERIE ÉLECTRONIQUE

Wanadoo

Un petit pas pour le web, un grand pas pour FT !

Le 2 mai 1996, fut lancé par France Télécom Interactive (FTI), filiale du groupe FT, le service d’accès grand public à Internet WANADOO, sous navigateur Netscape, du nom de l’entreprise américaine créée deux ans plus tôt qui avait été l’une des premières à miser sur le développement du web. Celle-ci ne pourra pas lutter contre son rival Microsoft avec son navigateur « Internet explorer » offert gratuitement avec Windows. « Netscape Navigator » utilisé en 1996 (à l’échelle mondiale) par plus de 90 % des internautes, sera quasiment éliminé de la compétition en moins de dix ans. Et c’est bien dommage, car la messagerie Netscape était d’une grande simplicité : UN message était matérialisé par UN simple fichier-texte que l’on pouvait même « lire » et modifier sous d’autres standards que Netscape. Au regard de cette simplicité, les logiciels de messagerie tels que Microsoft Outlook réunissent tous les messages (reçus ou sauvegardés dans de multiples répertoires) sous un unique fichier que seul Outlook sait déchiffrer… la moindre anomalie dans un message (par exemple mal fermé) corrompt toute votre messagerie…

Ainsi, les premiers internautes abonnés à Wanadoo accédaient à une page d’accueil dont l’entête offrait un nombre limité de services…

… dont une authentique messagerie électronique sous la rubrique « communication ».

On connaît aujourd’hui l’importance phénoménale qu’elle a prise, mais, à cette époque, du moins en France, le nombre de communicants dotés d’une messagerie Internet était limité ; aussi, étions-nous, en interne à FTI, les principaux utilisateurs de notre nouvel outil avec, accessoirement, la remise en cause totale du processus décisionnel habituel en entreprise : par exemple, nous annoncions une prochaine réunion sur un sujet précis à l’ensemble du personnel en appelant de nos vœux critiques et suggestions. Il en résultait un meilleur partage de l’information, des remontées vers l’initiateur de la réunion, sans filtrage hiérarchique, une meilleure préparation de la réunion (donc de durée plus courte), une appropriation majoritaire par le personnel de la décision finale…

Parti bon dernier à la conquête du web, le service Wanadoo, par France Télécom, tout spartiate qu’il était à ses débuts, allait croître et embellir rapidement jusqu’à devenir en moins de trois ans la principale offre d’accès grand public à Internet française. Le groupe partait de loin, puisque certains de ses dirigeants s’interrogeaient encore, courant 1995, sur l’avenir de ce nouveau mode de communication !

À la question que m’avait posée l’un d’eux « est-ce que tu crois à l’avenir d’Internet et faut-il que FT y aille ? », j’avais répondu : « si vous n’y allez pas, vous êtes morts ! »… et là, je m’étais entendu dire dans un éclat de rire : « tu exagères Roger ! ».

Néanmoins, je me dois de saluer l’intuition de quelques-uns, avec la mise en place de Renater (REseau NAtional de Télécommunications pour la technologie, l'Enseignement et la Recherche), qui avaient repéré tout le potentiel d’Internet et ont tout de même initié la bascule du Groupe dans ce domaine : je citerai notamment Jean-Jacques Damlamian (1966), Michel Treheux (1966), Yves Parfait (1984)… Mais en 1995-1996, une certaine frilosité persistait, que Gérard Eymery (1966) osera affronter en m’ouvrant un retour dans le groupe que j’avais quitté 15 ans plus tôt, qui explique peut-être pourquoi tous les moyens de France Télécom (à l’époque « riche ») ne nous furent pas tout de suite octroyés ! Ainsi, nous eûmes les plus grandes difficultés à faire admettre à notre maison mère qu’il fallait faire de la publicité grand public sur le support de la… télévision.

Wanadoo :

Un homme et une femme
25 septembre 1997

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Agence, Issy-les-Moulineaux : CLM/BBDO

Agence, Levallois Perret : Téléma

Annonceur, Paris : France Télécom


Ce n’est qu’un an après le lancement de Wanadoo qu’advint le feu vert. Mais, en franc-tireur que nous étions à FTI, nous avions anticipé le processus plusieurs mois à l’avance en sélectionnant (en toute discrétion) l’entreprise de communication CLM/BBDO dirigée par le renommé publicitaire Christophe Lambert, qui dirigera plus tard Publicis Conseil, et en réservant (audacieusement) des créneaux horaires sur les différentes chaînes de télé. Si bien que, dès l’accord donné, nous étions prêts à diffuser notre… message… et c’est le mot qui convient, puisque le scénario du spot publicitaire que nous avions retenu avec notre imaginatif prestataire était celui d’une scène de ménage entre mari et femme s’envoyant virtuellement à la figure de la vaisselle via... la messagerie de Wanadoo !

L’un était en voyage d’affaire à New-York, l’autre en vacances… à Biarritz… petite gâterie que m’avaient réservée mes collaborateurs qui connaissaient mes liens affectifs avec le Pays basque.

MAIS, à cette époque, la messagerie n'était pas encore en mesure de réaliser cet "exploit"... que de joindre à un message des images, ni en pièce-jointe, ni a fortiori dans le corps du texte !… Si bien que nous fûmes accusés de publicité mensongère par les services tatillons de l'administration. Il avait fallu batailler pour faire admettre que nous avions seulement un peu anticipé sur les possibilités futures du média.

J’avais pensé à l’époque à cette réflexion d’un proche de Pierre Marzin (1930), alors Directeur Général des Télécommunications, à la question d’un politique visitant dans les années 1960 le Centre National d’Études des Télécom (CNET) « qu’allait-on bien pouvoir faire maintenant qu’on maîtrisait la transmission du texte, du son et de l’image ? »… il avait répondu  : « Mais il y a encore beaucoup à faire… transmettre les odeurs, le sens tactile… ». Cette interpellation du Service de répression des fraudes prête aujourd'hui à sourire... au regard de l'explosion et de la diversification qu’on a pu observer des moyens d'expression audiovisuels en ligne.

« Tous les sentiments passent par Internet… à condition d’avoir le mot de passe… »

Autre réminiscence anecdotique « wanadienne » à propos de messagerie : Un jour de 1997, plusieurs de mes collaborateurs me demandent de les rejoindre et me font découvrir une première communication audio via Internet… en quelque sorte l’ancêtre de Skype, sans l’image et sans les échanges textuels en temps réel. Et nous réalisons que c’est peut-être l’avenir du téléphone.

C’est que certains « gradés » de France Télécom étaient encore calés sur la certitude que l’on ne s’improvisait pas Opérateur téléphonique sans une forte expérience technique acquise pendant des décennies (au moins 30 ans !). C’était méconnaître les potentialités du web, simplissime protocole de communication permettant de relier entre eux les réseaux, sans limitations territoriales, sans distinction de taille des interlocuteurs terminaux (offreurs ou consommateurs de services), sans soucis du type d’infrastructure (câblée / en cuivre ou fibre optique, hertzienne, satellitaire…). Si bien que si France Télécom « n’y était pas allée », elle ne serait pas ce qu’elle est devenue aujourd’hui : le fournisseur d’accès à Internet largement majoritaire en France avec plus de 40 % du marché.

Alors, à l’issue de ces quelques souvenirs du lancement d’Internet grand public en France, osons quelques messages :

• Rien n’est définitivement acquis dans la course au leadership d’un métier : Netscape en a fait la cruelle expérience et France Télécom, réflexion faite, n’est pas passée très loin de la catastrophe industrielle.

• À vouloir tout contrôler, l’administration peut être un frein à l’imagination ou simplement à l’initiative industrielle.

• Et pour synthétiser ces deux idées : les certitudes d’un jour se révèlent parfois être des erreurs le lendemain.

Conclusion

Pour rester sur une note optimiste et dans le droit fil de la réponse faite dans les années 1960 à propos des potentialités encore inexplorées des télécommunications, j’emprunterai la chute de notre premier spot publicitaire à la télé : « Tous les sentiments passent par Internet… à condition d’avoir le mot de passe… ». 


Biographie de l'auteur


Roger Courtois (1966)
a passé au début de sa carrière 10 ans à la DGT (1iers systèmes de téléphonie électronique et, plus tard, lancement de la télématique en France) puis cinq ans au Ministère de l’Industrie, en charge du secteur audio-visuel. Ensuite, il a créé, animé et… revendu des PME leaders en France du secteur télématique. Fin 95, il est rappelé par France Télécom pour créer et animer la filiale à l’origine de Wanadoo. Aujourd’hui, retiré à Biarritz et encore fan de communication électronique, il est le principal porte-parole de travaux linguistiques sur la langue basque. Il a été Rédacteur en Chef de notre revue puis Président de l'Association Amicale des Ingénieurs de notre École.

Auteur

Diplômé I.A.E. Paris

Dernière activité avant retraite : PDG de France Télécom Interactive (filiale de FT, créateur de Wanadoo)

15 années passées à diriger des PME leader dans le secteur des Télécom (télématique)

15 années passées dans l'administration (Direction Générale des Télécommunications et Ministère de l'Industrie) Voir les 2 autres publications de l'auteur

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