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12 novembre 2019

Revue TELECOM 194 - Convergence des techniques CRAN et SDN pour la téléphonie 5G par Maurice Gagnaire (1992)

CONVERGENCE DES TECHNIQUES CRAN ET SDN POUR LA TELEPHONIE 5G

La « cloudification » des réseaux d’accès pour la téléphonie 4G

La téléphonie mobile de quatrième génération (4G) opérationnelle aujourd’hui repose sur la technique LTE (Long Term Evolution). Cette dernière se caractérise par la convergence des services voix, données et images sur la base du protocole IP. La téléphonie mobile de cinquième génération (5G) en cours de développement repose quant à elle sur la technique LTE-avancée (LTE-a) visant à intégrer le trafic généré par les réseaux de capteurs liés à l’Internet des objets (IoT) au trafic radio-mobile orienté IP tel que considéré par la téléphonie 4G. Deux différences majeures caractérisent la téléphonie 5G vis-à-vis de la 4G. D’une part, le trafic véhiculé sur l’interface radio des terminaux radio-mobiles (smartphones, laptops, tablettes) n’est plus exclusivement généré à l’initiative des usagers eux-mêmes mais aussi par des capteurs/actuateurs situés dans leur environnement proche. Dans ce contexte, les applications prises en compte par l’IoT se caractérisent, en comparaison des applications voix/données/images de la 4G, par des micro-flots de données en termes de débit et de durée. La multiplication et l’imprévisibilité statistique de ces micro-flots complexifie singulièrement les contraintes de signalisation et de dimensionnement des infrastructures inhérentes à la téléphonie 5G. Au niveau de la couche physique, la téléphonie 5G se caractérise par l’utilisation de terminaux et de stations de base multi-antennes « intelligentes » de type MIMO (Multiple Input - Multiple Output). La technique MIMO permet d’adapter le diagramme de rayonnement (beam forming) de plusieurs antennes collaboratives desservant un même secteur afin d’en optimiser le débit utile pour les utilisateurs. Le défi de la téléphonie 5G consiste dans l’allocation en temps-réel du nombre de slots temporels et de quantums de ressources fréquentielles à chaque communication. Le rapport signal-sur-bruit conditionnant le débit utile, la téléphonie 5G vise également à affecter en temps-réel les niveaux de puissance d’émission/réception à assigner à chaque terminal mobile afin d’optimiser la capacité du réseau global. Dans ce contexte, les capteurs/actuateurs de l’IoT peuvent être à usage soit privatifs, soit collectifs. Dans le cas d’usages privatifs, on peut mentionner des capteurs corporels surveillant au fil de l’eau la santé des usagers (température corporelle, tension artérielle, niveau d’insuline dans le sang etc.). Dans le cas d’usages collectifs, les données mesurées par les capteurs environnants peuvent servir, par exemple, à réguler les flux de trafic automobile en zone urbaine ou à adapter l’intensité de l’éclairage urbain en fonction de l’intensité du trafic. Pour ce type d’applications, la fonction GPS de chaque terminal (ou de l’ordinateur de bord d’un véhicule) couplée à un outil de calcul d’itinéraire permet d’envisager, via la 5G, de rerouter en temps-réel chaque véhicule en fonction de sa position courante et de sa destination. Tous les services cités plus haut nécessitent l’usage de serveurs de calcul situé dans l’infrastructure fixe. La viabilité économique de ces services ne fait sens que s’ils sont largement mutualisés. Seule la « cloudification » des infrastructures et des services offerts par la 5G peut répondre à cette exigence. Dans ce contexte, la migration des données entre chaque source et sa ou ses destinations se fait relativement à des positions géographiques fluctuantes. Comment alors dimensionner et positionner les mémoires caches permettant de mettre en œuvre de tels services au moindre coût ? Cela reste aujourd’hui un problème largement ouvert en termes de recherche académique et industrielle. Les techniques de « virtualisation » et de migration de machines virtuelles « sans couture » nécessitent d’équiper les réseaux d’accès radio ou RAN (Radio Access Network) d’une intelligence et d’une adaptabilité accrue par le biais de l’architecture Cloud RAN (CRAN). Cet article vise à présenter de façon synthétique quelques pistes de recherche actuellement en cours relatives à l’évolution des architectures CRAN pour la téléphonie 5G. L’explosion du trafic radio-mobile a nécessité ces vingt dernières années une densification sans cesse croissante du nombre de stations de base. Dans ce contexte, dès le début des années 2000, les premières expérimentations en vraie grandeur de réseaux d’accès radio-sur-fibre (RoF) analogiques puis numériques, ont démontré l’intérêt technico-économique de déporter les oscillateurs radio du pied des antennes vers les RNCs (Radio Network Controller) [1], [2].

Rappels sur les principes de l’architecture CRAN

La figure ci-dessous illustre le schéma de principe de l’architecture CRAN considérée aujourd’hui pour les réseaux 5G. La principale difficulté à satisfaire pour la planification de ce type de réseau réside, comme évoqué plus haut, dans l’imprévisibilité du volume de trafic à satisfaire. L’innovation apportée par la technique CRAN consiste à déporter, non seulement les oscillateurs radio, mais aussi toute l’intelligence liée à la gestion des canaux associés, des sites où sont placées les l’antenne (RRH) vers le RNC (Radio Network Controller). Rappelons que le RNC correspond à un bâtiment sécurisé où se trouve le personnel de supervision de l’opérateur. En contrepartie, les antennes radio de type MIMO sont à l’air libre et situées dans des endroits le plus souvent difficiles d’accès. Globalement, en zone urbaine dense, ce ne sont pas tant les débits agrégés à satisfaire qui constituent le principal challenge pour les réseaux CRAN-5G que la complexité de la signalisation associée à des services corpusculaires dont la durée de vie et les débits associés peuvent être en pratique respectivement très éphémères et corpusculaires. Comme cela est déjà le cas pour les réseaux 4G, la gestion de la mobilité des terminaux (smartphones, ordinateurs de bord…) doit prendre en compte des fluctuations brusques de la capacité du canal. La figure ci-dessous décrit la configuration type d’un CRAN adapté à un système de transmission MIMO à deux antennes émettrices et deux antennes réceptrices. Comme l’illustre la figure, le module de traitement du signal d’une BBU est relié par deux fibres optiques contra-directives au site où se trouvent les antennes MIMO (jusqu’à quelques dizaines de kilomètres de portée). En jouant la mise en forme du diagramme de rayonnement (beam forming), il est possible d’améliorer singulièrement la qualité du rapport signal-sur-bruit vu du récepteur.

Configuration type d’une infrastructure CRAN.

Le principal avantage de l’architecture CRAN consiste à déporter la partie la plus coûteuse et la plus fragile d’un réseau radio-mobile, à savoir les oscillateurs radiofréquences et les modulateurs associés, du site de l’antenne (les eNode-Bs pour la 5G) vers un site sécurisé (présence du personnel de l’opérateur, local abrité) correspondant typiquement au RNC (Radio Network Controller). C’est au niveau du RNC que les signaux vocaux montants (des usagers mobiles vers l’Internet) et descendants sont respectivement numérisés ou convertis en analogique. Le débit d’un canal optique inhérent à la numérisation d’un signal LTE-a radio modulé en sortie d’un module CRAN au moyen des techniques OBSAI ou CPRI (les deux normes existantes) est de l’ordre de 10 Gbit/s pour une bande au niveau de l’interface radio de l’ordre de 20 MHz. Les données transmises sur les voies montantes et descendantes entre les BBUs et les RRHs sont structurées en trames synchrones de 10 ms pour les deux techniques CPRI et OBSAI. Les systèmes de transmission sur fibre optique monomode permettent, eu égard aux débits concernés, de couvrir aujourd’hui en point-à-point des distances entre un RNC et les RRHs environnantes d’une vingtaine de kilomètres (nonobstant la topographie de l’environnement considéré). De telles distances permettent dans la majorité des cas, notamment dans les zones urbaines les plus denses, un haut degré de mutualisation, et donc de virtualisation, des ressources radio au niveau du RNC. Par ailleurs, les fermes de BBUs (basedband units) présentent l’avantage pour l’opérateur d’optimiser l’utilisation de ces équipements eu égard au multiplexage statistique entre les différentes communications d’usager à usager ou d’usager à serveur, via l’Internet.

L’architecture « LayBack » : une approche prospective pour une gestion optimisée des CRANs multi-technologies et multi-opérateurs par le biais de la technique SDN

Une proposition originale récente désignée par « LayBack » pour Layered Bakchaul [3] vise à généraliser au-delà des réseaux d’accès radio, à l’échelle du réseau global, le partage des ressources radio par le biais de leur mutualisation entre différents opérateurs. L’équipe du Professeur Martin Reisslein de l’Univertité d’Arizona (USA), en collaboration avec des ingénieurs des sociétés Qualcom et Intel, mène actuellement des recherches envisageant la possibilité de mutualiser les fermes de BBUs entre différents opérateurs, au gré de l’activité des utilisateurs. A cette fin, l’approche proposée sous le nom de LayBack pour « Layered Backhaul » vise à permettre le partage des ressources radio entre les réseaux des différents opérateurs radio-mobiles desservant les mêmes zones géographiques. La Figure ci-dessous illustre le principe de l’architecture Layback. L’approche retenue par l’Université d’Arizona se focalise sur la mutualisation des ressources radio au niveau du CRAN. Pour ce faire, il est proposé de disposer des fermes de serveurs BBUs partageables entre plusieurs opérateurs par le biais de passerelles Ethernet, tel que cela est illustré au centre de la Figure ci-dessous. Un exemple d’usage de ce type de services pourrait être lié à une forte croissance transitoire du trafic radio-mobile sur une zone géographique très localisée (par exemple, à proximité d’un stade de football à l’occasion d’un match). En dehors du partage dynamique en temps-réel des ressources radio proprement dites, il est possible d’envisager un partage de ressources de données applicatives auprès des utilisateurs mobiles ne présentant pas de contraintes temps-réel. C’est ce que pourrait permettre par exemple l’accessibilité à de larges fermes de serveurs situées dans des datacenters placés beaucoup plus haut dans l’infrastructure, comme l’illustre la partie droite de la Figure ci-dessous. Un exemple d’utilisation de ce type de service pourrait être la régulation des flots véhiculaires en zone urbaine via les outils cartographiques (GPS) des ordinateurs de bord des véhicules pour la mise en place en quasi temps-réel d’itinéraires bis individualisés. Pour ce faire, il pourrait être envisagé de mettre à disposition des opérateurs radio-mobiles des fermes de serveurs d’applicatifs mutualisés permettant de fédérer à la volée des orchestrateurs SDN (Software Defined Network) à l’échelle de la zone soumise au risque d’embouteillage. Nous décrivons ci-dessous succinctement le rôle des différentes couches fonctionnelles de l’architecture Layback. Partant de la gauche vers la droite de cette figure, nous remontons progressivement la hiérarchie des équipements mis en jeu, des capteurs individualisés gérés par les différents opérateurs pour arriver à l’orchestrateur global Layback permettant de mutualiser l’ensemble des ressources IoT gérées par les différents opérateurs.

Principe de l’architecture LayBack.

La couche équipements composée des divers types de terminaux radio : tablettes, smartphones, ordinateurs véhiculaires équipés d’une carte SIM, capteurs/actuateurs à usage privatif, capteurs/actuateurs à usage publics placés dans l’environnement proche etc.,

La couche accès radio composée de eNode-Bs avec les RRHs associées, de points d’accès WiFi, d’antennes macro-cellulaires ou femto-cellulaires etc.,

La couche passerelle entre l’infrastructure cœur composée de commutateurs SDN est dédiée à la gestion du partage de ressources entre les différentes technologies radio mentionnées plus haut appartenant aux opérateurs souhaitant partager tout ou partie de leur infrastructure. Trois principaux types de passerelles sont considérés :

- Les passerelles Ethernet pour les connexions entre le réseau cœur SDN et les antennes macro ou femto-cellulaires,

- Les passerelles CPRI/OBSAI liées aux fermes de BBUs situées entre le réseau cœur SDN et les RRHs des différents opérateurs,

- Les passerelles WFi entre l’Internet backhaul et les points d’accès WiFi.

Une couche de commutation SDN composée de commutateurs OpenFlow au cœur de l’infrastructure globale et de sites de stockage massif servant de mémoires tampons dans les cas où des données d’un opérateur x peuvent être amenées à utiliser transitoirement des ressources radio (quel que soit le type de technologie) d’un opérateur y. La couche SDN se comporte dans ce cas comme un datacenter multi-opérateurs composé d’un ensemble équipements qui, bien que de constructeurs distincts, opèrent tous sur la base du protocole OpenFlow.

Conclusion et problèmes ouverts

Avec l’émergence de l’IoT, le déploiement de l’infrastructure 5G reste pour l’heure en grande partie ouvert car la montée en débit et la diversification des services offerts devraient se traduire immanquablement dans les zones urbaines d’ici le début des années 2020 par une densification des antennes à hautes performances de type MIMO, et donc par des coûts de déploiement et d’opération/maintenance élevés pour les opérateurs. Le concept d’architecture LayBack présenté plus haut apparait comme une alternative technico-économique viable dans un marché de plus en plus morcelé. Le succès commercial et économique de la téléphonie 5G peut se trouver renforcé par le biais de l’architecture LayBack. Dans ce contexte, l’utilisation de la technique SDN apparait comme particulièrement judicieuse. Cependant, la consommation énergétique de telles infrastructures reste un problème ouvert [4]. 

BIBLIOGRAPHIE

[1] M. Gagnaire, « Analog and Digitized Radio-over-Fiber » , Chapter 4, in the collective book edited by M. Tornatore, Gee-Kung Chang and Georgios Ellinas, « Fiber-Wireless convergence in Next-Generation Communications networks: systems, architectures and management », Springer International Publishing AG, 2017.

[2] A. Haddad and M. Gagnaire, « Next Generation Access Systems Backhauling using Radio-over-Fiber: a Prospective Approach », in IEEE/Proc. of Summer Topicals, Seattle, USA, 2012.

[3] P. Shantharama et al., « LayBack : SDN management of multi-access edge comuting (MEC) for network access services and radio resource sharing », IEEE Access, pp. 57545-57561, Vol. 6, 2018.

[4] D. Sabella et al., « Energy efficiency benefits of RAN-as-a-service concept for a Cloud-based 5G mobile network infrastructure », IEEE Access, pp. 1586-1597, Vol. 2 , 2014.


Biographie de l'auteur


Maurice Gagnaire (1992)
, professeur au Département Informatique & Réseaux de Télécom Paris a conduit pendant une vingtaine d’années des activités d’enseignement-recherche dans le domaine du routage et de la planification des réseaux WDM transparents dans le cadre d’une longue collaboration avec les laboratoires de recherche de la société Nokia-Alcatel et du réseau d’excellence européen e-Photon-ONE. Il a ensuite contribué à divers projets de recherche nationaux ou européens ayant trait à la gestion optimisée des ressources de calcul dans les datacenters prenant en compte les contraintes thermiques. Il a aussi contribué à la conception de nouvelles infrastructures de recharge pour véhicules électriques (projets ADEME) ainsi qu’à l’optimisation énergétique dans les réseaux domestiques. Il s’intéresse aujourd’hui plus particulièrement à la convergence optique-radio-Cloudlet, ainsi qu’aux techniques de moissons énergétiques pour le Cloud et la téléphonie mobile de cinquième génération.

Auteur

DEA systèmes Informatiques, Diplômé INT, Docteur ENST, Habilitation à diriger des recherches (Université de Versailles)

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