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18 avril 2021

La 5G : une technologie à enjeux multi-facettes # 200

 

Par Guy Pujolle


Beaucoup d’articles sont parus récemment sur la 5G. Cependant, lorsque l’on prononce le mot 5G, il faut définir plus précisément de quelle 5G on parle.


DE LA 4G À LA FULL 5G : ENCORE UN LONG CHEMIN

La première phase de spécification du standard 5G par le 3GPP[1] en a défini principalement la radio. Aujourd’hui, cette seule portion du réseau est appelée 5G, et opérationnelle dans les réseaux 5G commercialisés depuis fin 2020. De plus, on appelle aussi 5G une émulation sur la radio 4G permettant d’obtenir l’équivalent du débit de la 5G. Ce système appelé 5G n’a en fait rien à voir avec la 5G.

Avec la radio 5G, sur les bandes de fréquence mises aux enchères au dernier trimestre 2020, on obtient les fameux réseaux 5G non stand-alone, c’est-à-dire qui ne possèdent qu’une partie de l’environnement 5G. De plus, la radio 5G n’a rien de révolutionnaire, c’est juste une évolution de la radio 4G avec les progrès provenant de nombreuses années de recherche. La caractéristique essentielle est l’adaptation par rapport à l’application et l’augmentation du débit par un facteur 10 en brut et de quatre en réel. C’est une avancée non négligeable sur la partie transmission jusqu’à l’antenne. Mais ensuite ? Il faut passer par le réseau d’accès et le réseau cœur de la 4G, ce qui implique un gain de performance plus faible que celui espéré.

La deuxième phase de la 5G a été spécifiée en juin 2020. Elle aborde essentiellement le réseau cœur et le réseau d’accès. Il faut attendre la mise en place de ces deux parties infrastructures du réseau pour avoir un réseau qui s’approche fortement de la 5G. Il ne manquera plus que les applications. Dans cette deuxième phase, la révolution de la 5G apparaît enfin avec l’arrivée de centres de données qui se positionnent à la sortie du réseau d’accès et à l’entrée du réseau cœur. Ces centres de données prennent en charge sous forme logicielle, aussi appelée virtualisation, tous les services applicatifs et tous les services de l’infrastructure numérique (traitement du signal, gestion des changements intercellulaires, de la localisation, du trafic, etc.).

Concernant la définition complète de la 5G, la pandémie ayant repoussé les réunions du 3GPP, la phase 3 est maintenant programmée pour juin 2022. Le temps de développer l’ensemble des spécifications sous forme de produits, la vraie 5G, la complète, devrait arriver début 2024 avec un déploiement rapide un an plus tard.


5G, ENTREPRISES, ET GAFAM

La révolution de la 5G ne sera donc pas disponible avant 2024 et dans cette attente seul le débit augmentera légèrement.

Dans les faits, la 5G ne vise pas les particuliers mais les entreprises. L’objectif est le support des services utilisés dans les entreprises dans un cadre numérique. Le marché numérique du grand public a été capté par les grands industriels du Web et en particulier ceux qu’on appelle les GAFAM[2]. Le marché numérique des entreprises reste encore à prendre, même si les GAFAM essaient de le maîtriser avant l’arrivée effective de la 5G. Cette numérisation des entreprises passe par la virtualisation de leurs services dans le Cloud distribué situé sur l’Edge, rassemblant tous les centres de données MEC (Mobile/Multi-access Edge Computing). Cette bataille est capitale pour maîtriser la numérisation des entreprises et gérer leurs services. Les GAFAM ont bien compris la lutte en cours de préparation et elles œuvrent dans deux directions : développer leurs propres centres de données sur l’Edge ou bien s’allier aux opérateurs pour maîtriser indirectement les flux provenant des entreprises.


LA 5G, UN RISQUE SANITAIRE ?

Un autre problème fortement débattu provient de la dangerosité supposée de la 5G sous divers aspects : sanitaire, dépense énergétique, protection des données, etc. Commençons par examiner la partie dangerosité des ondes électromagnétiques. Ces ondes sont bien connues et caractérisées par leur fréquence, leur puissance d’émission et leur puissance de réception. Les ondes électromagnétiques les plus connues proviennent de la parole humaine avec des cordes vocales qui vibrent de 100 à 300 fois par seconde d’un baryton à une soprano. Si la puissance d’émission augmente, le bruit finit par incommoder puis en augmentant encore, il devient dangereux. De même pour les ondes électromagnétiques visuelles qui sont, pour leur part, dans les 400 THz : si leur puissance est faible la lumière ne fait pas mal aux yeux, mais si l’on regarde directement le soleil, la puissance de réception est telle que les rayons électromagnétiques deviennent très dangereux. Il en est de même pour les ondes électromagnétiques employées par la 4G ou la 5G ou même les ondes appelées millimétriques qui se situent toutes entre les ondes de la parole et celles de la vision humaine. La limite maximale de la puissance de réception, définie il y a plus de vingt ans, correspond à un bruit plutôt faible et à une lumière relativement terne. Si l’on dépasse cette limite de puissance de réception, les ondes s’approchent de seuils pouvant devenir dangereux. Pour cette raison, il faut absolument respecter les seuils qui ont été parfaitement définis. C’est le cas en France et dans une très grande majorité de pays.

Quand s’approche-t-on le plus des seuils déterminés par les autorités ? Pratiquement jamais dans le cas des grandes antennes où effectivement il y a une zone de danger près de l’antenne. Cette zone n’est pas très grande, jusqu’à une dizaine de mètres dans la direction de l’antenne, et très généralement inaccessible mais elle existe. La puissance de réception décroît très rapidement puisqu’elle est inversement proportionnelle à la distance au carré. Les objets les plus dangereux sont ceux qui touchent ou qui sont très près de la tête ou du tronc des individus puisque les émissions des antennes de ces objets doivent atteindre une grande antenne et comme l’affaiblissement est très fort avec la distance, il faut émettre fortement si l’antenne à atteindre est loin. Les smartphones sont particulièrement surveillés et des mesures précises sont effectuées pour que la puissance de réception de la tête et du tronc reste inférieure à la valeur limite. Il est conseillé de mettre son smartphone à cinq mm de son oreille plutôt que de le coller puisque la puissance de réception de la tête est déjà divisée par quatre. Si l’on met le haut-parleur ou des oreillettes, la puissance est divisée par 20 à 100 et l’on se trouve très loin de la valeur limite, qui rappelons-le est l’équivalent d’une parole humaine faible.


LA CONSOMMATION ÉNERGÉTIQUE EN DÉBAT

La dépense énergétique pose bien plus de problèmes à calculer.

Une des raisons de la difficulté de comparer la consommation énergétique de la 4G et de la 5G est que les fonctions d’infrastructure qui étaient dans des boîtiers électroniques sur l’antenne ou à son pied sont maintenant sous forme de machine virtuelle dans un centre de données partagé par plusieurs antennes. Les fonctions sous forme logicielle consomment beaucoup d’énergie. Mais, une bonne gestion de la virtualisation, du refroidissement et du multiplexage de plusieurs antennes devrait déboucher sur une consommation sensiblement identique à celle de la 4G sur un périmètre comparable. Cependant, l’augmentation du trafic et du nombre d’objets à connecter devrait amener une augmentation sensible de la consommation énergétique.

Les antennes elles-mêmes, sans les fonctions d’infrastructure, sont difficiles à comparer du point de vue énergétique. La 5G utilise des antennes avec du MIMO massif permettant d’introduire une forte directivité. La 5G devrait monter jusqu’à du MIMO massif à 1024 antennes. Chaque antenne directive dépense très peu d’énergie car le signal n’utilise que le chemin direct. Il n’y a pratiquement plus de chemins indirects dus aux obstacles. La réception du signal est grandement facilitée, ce qui permet pour une puissance beaucoup plus faible de l’antenne d’atteindre le destinataire. Cependant, il y a beaucoup plus d’antennes. L’augmentation du trafic, l’augmentation du nombre d’antennes et la virtualisation des fonctions d’infrastructure demandera plus d’énergie qu’en 4G mais avec une montée poursuivant la même pente que précédemment. Il y a donc une certaine urgence à trouver de nouvelles solutions pour baisser la consommation. Elles existent et vont être mises en œuvre petit à petit. Il s’agit de techniques de rendez-vous, surtout pour les objets, permettant aux antennes de s’éteindre et de se rallumer à des instants précis. Les techniques de start & stop, comme dans les véhicules, seront également utilisées. On peut également citer des processeurs qui travaillent avec juste la bonne puissance pour exécuter les tâches demandées ou encore la virtualisation matérielle qui arrivera dans cinq ans pour remplacer la virtualisation logicielle. Globalement, toutes ces nouveautés devraient stopper l’augmentation actuelle de la consommation, voire amorcer une descente.

Enfin, les travaux sur l’économie d’énergie sont loin d’être terminés et la phase 3 des spécifications de la Full 5G devrait permettre d’introduire de nouveaux algorithmes intégrant d’importants progrès sur la consommation ainsi que la finalisation des spécifications des applications de la 5G.


QUID DE LA SÉCURITÉ DES DONNÉES ?

Enfin, et peut-être l’élément le plus dangereux de la 5G concerne la sécurité de nos données. En effet, toutes les données vont transiter par les datacenters MEC des opérateurs. Ces données proviennent des grandes antennes mais également des femtocells 5G reliées aux centres de données par une distribution en fibre optique. Elles proviennent également des points d’accès Wi-Fi reliés également par le même réseau aux centres de données MEC. Toutes les données même celles destinées aux GAFAM transiteront par les datacenters 5G sauf peut-être celles y échappant par l’intermédiaire d’une constellation de satellites.

Les données sont le pétrole du XXIe siècle et toute la richesse vient de leur traitement par des systèmes plus ou moins intelligents. Comment les opérateurs 5G et les industriels du Web vont-ils se partager cette manne ? Les réponses restent à venir. La 5G peut être une occasion unique pour les opérateurs de reprendre la main et donc couper l’herbe sous les pieds des GAFAM. Ceci explique d’ailleurs les nouvelles visions des GAFAM : se re-positionner avant les centres de données de la 5G. Cependant, il n’y a plus beaucoup d’espace entre l’utilisateur et l’antenne. La seule place possible concerne le domicile ou l’entreprise, ou bien l’équipement terminal.

Chez l’utilisateur, cela implique un centre de données dans son smartphone ou sur son bureau : c’est une des grandes directions pour la 6G empruntée par quelques GAFAM en opposition à une centralisation poussée par de nombreux industriels des télécommunications.     



Guy PUJOLLE
Professeur émérite de Sorbonne Université et président de la société Green Communications. Il est l’un des pionniers des réseaux à très haut débit ayant conduit au développement en 1980 du premier réseau atteignant le Gbit/s. Il a été à l’origine de plusieurs inventions et brevets importants comme le DPI (Deep Packet Inspection), le contrôleur Wi-Fi applicatif, les réseaux virtuels, etc.

Guy Pujolle a reçu différents prix pour ses travaux et publications, notamment un Grand Prix de l’Académie des Sciences en 2013. Il est l’Éditeur en chef de « Annals of Telecommunications ». Il est co-fondateur de QoSMOS (www.qosmos.com), Ucopia Communications (www.ucopia.com), EtherTrust (www.ethertrust.com) et de Green Communications (www.green-communications.fr).


Références
[1] 3rd Generation Partnership Project
[2] Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft

 

 

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