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30 décembre 2020

L'aéroacoustique numérique en aéronautique

La prévision du rayonnement acoustique des aéronefs est indispensable pour agir dès le stade des avant-projets. En outre, une bonne précision est requise si des normes doivent être respectées, afin que l’industriel n’ait pas à ménager des marges d’erreur coûteuses.


PENSONS AUX RIVERAINS DES AÉROPORTS ET DES HÉLIPORTS

L’aéroacoustique concerne les sons d’origine aérodynamique, dus au mouvement d’un corps solide dans un fluide ou aux fluctuations (turbulence, tourbillons) au sein du fluide. L’émission sonore peut être dominée par des phénomènes périodiques engendrant un spectre de raies (bruit de compresseur) ou avoir un caractère aléatoire, caractérisé par un spectre à large bande (bruit de jet). Le sujet est crucial dans les transports pour maîtriser l’environnement sonore. En aéronautique, les sources de bruit sont liées à la propulsion (turboréacteurs ou hélices d’avions, turbomoteurs et rotors d’hélicoptères) et au bruit de cellule pour les avions en approche (becs et volets sortis sur les ailes, trains d’atterrissage sortis).

DE L’AÉRODYNAMIQUE À L’ACOUSTIQUE NUMÉRIQUE

La mécanique des fluides numérique (ou CFD pour Computational Fluid Dynamics), intégrant les équations de conservation de la masse et de la quantité de mouvement (équations d’Euler ou de Navier-Stokes), s’est imposée en aérodynamique au cours des dernières décennies, grâce à l’accroissement de la puissance des ordinateurs, pour le calcul et la simulation des écoulements laminaires et turbulents. L’acoustique est une petite perturbation du champ moyen et est donc a priori incluse dans la CFD : la simulation numérique directe réussit à traiter des situations académiques simples mais au prix de longs calculs. En fait, les ordres de grandeur des paramètres fondamentaux, tels que les fluctuations de pression et de vitesse, ainsi que les échelles de longueur et de temps, sont très différents : une pression sonore de 1 Pa (1/100 000 de la pression atmosphérique) est un bruit fort (94 dB) et les vibrations des molécules (qui se propagent de proche en proche à la célérité du son, 340 m/s dans l’air à 15 °C) ont une vitesse de seulement quelques mm/s. Il faut aussi propager les ondes sur une certaine distance, ce qui implique d’étendre le volume maillé de la CFD assez loin.

L’aéroacoustique numérique (ou CAA pour Computational AeroAcoustics) est ainsi apparue comme une discipline à part entière en raison de ses spécificités : le calcul comprend dans la plupart des cas une chaîne de logiciels CFD et CAA, la CFD fournissant les données relatives aux sources sonores pour la CAA.

De telles méthodes sont souvent appelées « hybrides ». Cette approche naquit dans la décennie 1980, comme en témoigne un premier calcul du bruit de type dipolaire produit par un cylindre placé dans un écoulement uniforme à faible nombre de Reynolds.

QUELQUES MÉTHODES DE CALCUL

La CAA repose sur l’équation aux dérivées partielles de Lighthill (1952). Celle-ci résulte de travaux menés pour expliquer le bruit de jet au début des liaisons commerciales par avions à réaction. La CAA a aussi recours à de nombreuses autres possibilités pour traiter au mieux la propagation en écoulement hétérogène ou dans un conduit avec des parois absorbantes (nacelles de turboréacteurs).

Pour la propagation dans un fluide en écoulement non uniforme, il est nécessaire d’intégrer les équations d’Euler soit linéarisées, soit écrites sur les perturbations (celles-ci issues de la CFD) dans le domaine où la propagation acoustique est non linéaire.

Plus simplement, des logiciels du commerce efficaces résolvent l’équation d’onde (de Helmholtz) par la méthode des éléments de frontière ; le fluide moyen doit alors être au repos (ou en mouvement uniforme), ce qui limite leur pertinence s’il existe un écoulement rapide hétérogène. En revanche, l’algorithme est écrit dans le domaine fréquentiel, ce qui permet d’introduire facilement les conditions aux limites (impédance acoustique) sur les parois (figure ci-dessous).

Enfin, si la CFD conserve les fluctuations acoustiques jusqu’à une surface fermée contenant toutes les sources sonores et où le fluide est en écoulement uniforme, l’intégrale de Kirchhoff sur cette surface fournit directement le champ acoustique en tout point extérieur à cette surface. Cela procure un gain appréciable sur l’intégration dans le volume des sources.

Rayonnement sonore de la soufflante par l’entrée d’air de la nacelle d’un turboréacteur 
 



Maquette d’aile volante, masquant le rayonnement sonore des moteurs vers le sol.

À QUOI ÇA SERT ?

La sélection de la méthode hybride dépend de plusieurs facteurs, tels que la configuration étudiée ou le type de la CFD en amont. Le temps de calcul joue aussi un rôle capital car les exigences sont différentes dans le domaine de la recherche, en exploitation industrielle ou pour une optimisation aéroacoustique.

Dans tous les cas, l’objectif est bien sûr de réduire le bruit perçu par les riverains des aéroports et cela sans perte de performances. La figure ci-dessous est un résumé des diverses voies pour y parvenir, en ce qui concerne les turboréacteurs. Un seuil de bruit semble cependant plus ou moins atteint avec les technologies actuelles ; de nouvelles architectures d’avions sont donc étudiées en vue de futures diminutions significatives des niveaux sonores (figure ci-dessus), ce qui implique un recours accru aux simulations numériques (figure ci-contre).

Illustration de l’effet d’installation d’un réacteur sur les ondes acoustiques rayonnées.

 

 ACTIONS À LA SOURCE

  • Soufflante : ondes évanescentes, déphasage en envergure
  • Jet : mélange

    PROPAGATION DANS LA NACELLE
  • Traitement absorbants sur les parois du flux secondaire (froid)

 RAYONNEMENT : EFFET D’INSTALLATION

  • Réflexion sur les surfaces de l’avion
  • Réfraction près des surfaces
  • Diffraction sur les bords

    TRAJECTOIRES À MOINDRE BRUIT
  • Décollage, approche

Moyens de réduction du bruit des turboréacteurs perçu au sol.


A RETENIR

  • L’aéroacoustique est incluse dans l’aérodynamique mais c’est une petite perturbation, qui doit être calculée par des logiciels spécifiques.
  • Les simulations numériques reposent sur des équations et modèles supposant certaines hypothèses, qu’il faut valider ou améliorer par des études expérimentales.
  • Il semble qu’un seuil de bruit soit atteint avec les technologies actuelles et de nouvelles architectures sont envisagées pour une future diminution significative du rayonnement sonore.

Serge LÉWY
Serge était Directeur de recherche à l’ONERA (Office National d’Études et de Recherches Aérospatiales). Après un doctorat ès sciences, il s’est consacré à des recherches en acoustique. Il est l’auteur du livre Acoustique industrielle et aéroacoustique, est expert scientifique pour le traité Bruit et vibrations aux
Techniques de l’Ingénieur et vacataire à l’ENSIM (Le Mans Université) et à l’ISAE-SupAaéro.

Auteur

DEA de Spectronomie, Docteur ès Sciences

Recherches en aéroacoustique pour l'aéronautique : avions (turboréacteurs et hélices), hélicoptères (rotors et turbomoteurs).

Auteur du livre "Acoustique industrielle et aéroacoustique", Hermès Science Publications, Paris (janvier 2001), 560 pages.

Actuellement, participation à l'enseignement à l'ISAE Supaéro et à l'ENSIM (Université du Maine). Voir l'autre publication de l'auteur

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