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28 octobre 2020

Réflexion sur les fondements historique et philosophique des inégalités entre les femmes et les hommes

 Si l’égalité est un principe au sens des droits fondamentaux et universels, elle constitue aujourd’hui une norme de ce qui fait le commun entre les membres d’une société. En matière d’égalité des sexes, si la majorité des droits est acquise dans les faits par la loi de 2014, les inégalités persistent et se manifestent sous différentes formes, visibles et invisibles à partir d’anciennes représentations ancrées dans les cultures.


DES INÉGALITÉS SITUÉES

Sur les formes visibles, nous retrouvons pour exemple un faible taux de présence des femmes dans les filières scientifiques, technologiques et professionnelles (STI), à dominante masculine, et une forte représentativité dans les formations aux métiers connotés « féminins ». D’autres données se manifestent dans les inégalités salariales (à diplomation et échelle de rémunération égales, mais aux différences vécues sur l’argumentation de la performance et/ou des capacités) et dans la moindre représentativité dans les postes à responsabilité politique, artistique, culturelle. Les inégalités invisibles prennent corps dans des arguments-freins qui empêchent ou rétrécissent les choix de destin, comme la biologie (maternité, mobilité, priorité au conjoint·e, etc.), mais également dans les discours démotivants, voire sexistes, empêchant toute audace ou initiative dans des parcours qui ne leur sont pas initialement dévolus. Il s’agit moins d’une réalité que d’un construit sur le féminin et le masculin (inter)culturellement partagé sur le rôle, les fonctions et la place des sexes mis en évidence par l’étude interculturelle de Lippa (2010) qui expose que toutes les cultures se partagent un construit établi sur la distinction des sexes en fonction des rôles et des devoirs attribués selon la place sociale attribuée aux sexes.

DES INÉGALITÉS CONSTRUITES DANS LES DISCOURS

Ces places attribuées sont basées sur des conceptions, des représentations du féminin à partir de la distinction biologique princeps qui est celle de la procréation. S’ensuivent des stéréotypes qui dévoilent des mécanismes sociaux, psychosociaux et cognitifs préférentiels qui justifient les inégalités sexuées débouchant vers les inégalités sociales, économique, politique, qui ont pour point commun de reposer sur un discours construit à l’aune d’arguments aujourd’hui vécus sur le mode « capacitaire », au détriment du mode « capabilitaire » qui contraignent la mise en œuvre de l’égalité réelle. Or, ces discours culturels ont pour particularité d’avoir été élaborés depuis l’Antiquité par des hommes. Examinons quelques hypothèses sur l’origine philosophique et historique de ce mythe (écrit) ou de ce muthos (oral) que se partagent les différentes civilisations.

AU COMMENCEMENT DU MUTHOS

Au commencement était le mythe, de l’homme et de la femme. Quand la terre (Gaia) et le ciel (Uranos) ne faisaient qu’un, dans un acte sexuel interminable engendrant des enfants prisonniers du ventre maternel, naquit le projet d’émancipation de la femme. Pour que celle-ci advienne, Gaia commandita à son fils, Chronos, d’émasculer son père depuis son ventre, afin qu’il se détache d’elle et la libère. Gaia, la Terre, donc la culture (cultura, colere : la terre) deviendra source de mysticisme de la castration dont l’homme devra se protéger. Cet aspect prophétique gagnera les esprits dans les récits du féminin à la suite de l’avènement du Verbe, reléguant le rôle de la parole sainte à quelques femmes, gardiennes de la vertu et de la virginité dans le conseil aux hommes. L’image biblique d’Ève s’imposera dans les mentalités jusqu’au 18e siècle, rappelant toujours à la femme qu’elle est la cause du péché originel, sortie (par le mythe apparu au 11e siècle) de la côte d’Adam. C’est à partir des 12e et 13e siècles que l’image du féminin se rattachera à celles de l’infans et de la rédemption par le personnage de Madeleine, qui rachètera son statut de pécheresse en faveur du salut de l’humanité.

QUAND LA POLITIQUE SE CONSTRUIT SUR LE MYTHE

Dans la Cité, c’est au début de l’Antiquité qu’est advenue la prise du pouvoir social par l’homme et la déclaration de la femme reconnue comme « mineure » vis-à-vis de la loi, donc dépossédée de tous droits civiques et citoyens. Pour le législateur grec ou romain, sa faiblesse d’esprit, autrement nommée imbecillitas mentis, légitime ses incapacités juridiques. L’homme possède la puissance paternelle (patria potestas) qui autorise toute décision à son égard. Sans droit, sans légitimité, incapable juridiquement, la femme est avant tout une matrice (venter) qui donne un héritier à la famille, passant de la dépendance de son père à celle de son mari à un âge précoce. Sous la domination romaine, le mariage revêt deux formes qui traduisent encore la minorité civique de la femme : sous l’autorité exclusive de son mari (cum manu) ou sous la tutelle de sa propre famille (sin manu).

L’avènement de la chrétienté amplifiera ce mouvement d’un féminin effacé et silencieux, l’excluant des cadres de la politique et de la cité. Le silence se répandra autant dans la vie publique et citoyenne que dans les écrits, ne laissant aucune trace de la vie des femmes jusqu’au 17e siècle. Il faudra attendre l’avènement des reines et le pouvoir de l’Ancien Régime pour que des écrits féminins soient produits. Mais cette parole sera en permanence contrôlée par les hommes, de manière à préserver son aspect anobli, loin de l’image de la harpie ou de la sorcière, soit celles qui parlent en public. Ce contrôle de l’image et des agir de la femme s’étend jusque dans les pratiques éducatives de l’enfant. Le féminin est sous contrôle des pédagogues et des éducateurs médiévaux, dans le but de lui apprendre à bien se comporter dans son foyer et dans ses fonctions transmissives par l’enseignement de la foi chrétienne et du service à l’homme. L’autorité du biologique et de la procréation sera maintenue du 12e siècle, prédominant entre le 16e et le 17e siècle, jusqu’aux Lumières qui laisseront en suspens la question de l’instruction et la citoyenneté des femmes (à l’exception de Condorcet). C’est à partir de la déchristianisation (18e siècle) que s’enclenchera la modification de l’image de la femme et à son accès à l’éducation et au travail (par l’arrivée des premières femmes journalistes, puis dans l’industrie et au 19e par l’accès à l’éducation, qui ouvre les voies de l’engagement professionnel, philosophique et politique.

UN SIÈCLE D’ÉMANCIPATION DES MYTHES, DE LA MÉDECINE ET DES RELIGIONS

Le dégagement de la femme de la coercition du patriarcat, du biologique conservé par la médecine et les religions commence dès 1920 par la remise en cause du droit établi sur des fondements phallocratiques du 19e siècle (obéissance au mari, etc.). Elle conquiert de plus en plus de droits et d’égalité (1907 pour qu’une femme mariée puisse disposer de son salaire, 1944 pour obtenir le droit de vote, 1965 pour travailler sans l’autorisation de son mari, 1972 pour que le principe « à travail égal, salaire égal » soit inscrit dans la loi, 1983 pour que soit votée la loi Roudy sur l’égalité professionnelle homme/femme renforcée, 2006 pour que soit actée la loi relative à l’égalité salariale entre hommes et femmes et 2014 pour la loi sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes). Des changements, des droits récents, des discours qui se déconstruisent, des mythes qui s’étiolent, mais qui perdurent.

POUR CONCLURE

Le recours à l’héritage sexué nous renseigne que tous les acquis en matière de droits et d’égalité ont des racines très jeunes, construites sur des normes psychique, sociale et politique souvent masculines qui recomposent, entre histoire et filiation, des discours, récits, mythes, sur la nature et la fonction des femmes, justifiant des inégalités de droits et de fonction. L’héritage textuel, littéraire ou traditionnel, inégalitaire et persistant, a cependant levé les compétences des sexes et des genres et a permis la mise en œuvre de la troisième génération de droit par l’égalité réelle vers plus de progrès. Tout comme elle permet de contrer ceux qui imposent la prédominance d’un droit de la nature sur un droit positif à améliorer, et des émotions portées sur le féminin au détriment de sa raison, fût-elle historique ou philosophique.


Johanna HENRION LATCHÉ
Docteur en sciences de l’éducation et de la formation de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Elle est actuellement attachée de recherche auprès de l’Université de Reims Champagne Ardenne (URCA), laboratoire CEREP. Ses travaux portent sur les différentes formes de résilience et particulièrement sur la résilience culturelle. Membre d’associations savantes et citoyennes, elle étudie les thématiques de l’égalité, de la mixité et des choix de vie, concernant les questions de l’égalité femmes/hommes.

Auteur

Johanna Henrion

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