Retour au numéro
Partager sur :
Vue 928 fois
28 octobre 2020

Ada Lovelace la pionnière oubliée de l'informatique

Ada Lovelace (1815-1852) est la pionnière de la science informatique et la première programmeuse de l’histoire. Longtemps tombée dans l’oubli, elle est aujourd’hui un véritable rôle-modèle pour les femmes qui font carrière dans la tech.


Née Augusta Ada Byron en 1815, Ada Lovelace est la fille de Lady Byron et de Lord Byron, le célèbre poète anglais. Ses parents se séparent alors qu’elle n’a qu’un mois et son père part pour l’étranger où il décède huit ans plus tard, d’une maladie contractée pendant la Guerre d’Indépendance grecque. Elle ne le rencontre jamais, mais celui-ci lui consacre quelques vers depuis son exil et s’intéresse à son développement, en témoigne la correspondance échangée avec Lady Byron. Celle-ci décrit ainsi la jeune Ada, âgée de huit ans : « Sa caractéristique dominante est la gaité et la bonne humeur. Observation. Elle n’est pas dépourvue d’imagination, mais celle-ci s’exerce plutôt à travers son ingéniosité en mécanique — la fabrication de navires, de bateaux, etc. Grande et robuste » .

Ada Lovelace grandit donc auprès de sa mère, Annabella, qui est une femme cultivée et très pieuse. Les grands-parents d’Ada Lovelace, des intellectuels engagés pour les droits humains, avaient pris un tuteur pour leur fille, qui l’introduisit à la littérature, à la pensée philosophique, et surtout aux mathématiques, qui devinrent une véritable passion qu’elle communiqua à sa fille. Lord Byron surnommait d’ailleurs Annabella, la « princesse des parallélogrammes ».

Sa vie durant, Annabella continua à adorer les mathématiques et poursuivit le combat de ses parents pour la dignité humaine. Elle fut, entre autres, l’une des rares femmes présentes lors de la Convention mondiale contre l’esclavage qui eut lieu à Londres en 1840. Elle s’investit particulièrement dans l’éducation d’Ada et cultive son penchant pour les sciences dures et les mathématiques, de manière inhabituelle en comparaison avec les jeunes femmes de son époque.

Pendant son enfance et son adolescence, Ada Lovelace est souvent malade ; en particulier, elle reste alitée pendant une année à cause de la rougeole. Cette condition ne l’empêche pas d’étudier et elle mettra même ces périodes d’isolement à profit pour approfondir ses connaissances scientifiques et mathématiques.

En 1833, à l’âge de 17 ans, Ada rencontre dans un salon mondain de Charles Babbage, inventeur de renom. Celui-ci a créé une « machine à différences ». Sophia De Morgan, qui deviendra plus tard sa tutrice, écrit à propos de cet instant : « Tandis que d’autres visiteurs regardaient le fonctionnement de ce bel instrument avec l’expression, et j’ose dire le sentiment, que certains sauvages auraient montré en voyant pour la première fois un miroir ou en entendant un pistolet… Miss Byron, aussi jeune qu’elle fût, en comprit le fonctionnement et vit la grande beauté de l’invention » . L’année suivante, elle se rend à une conférence donnée par Dionysius Lardner sur l’invention de Babbage.

Elle entame alors une longue correspondance avec Charles Babbage, ponctuée de visites en personne à son domicile. Impressionné par l’intelligence d’Ada Lovelace, Babbage la surnomme « l’enchanteresse des nombres ». Lors de ces rencontres, elle est souvent accompagnée de Sophia de Morgan et de Mary Somerville, ses tutrices. Mary Somerville, mathématicienne et astronome anglaise, fut, en même temps que Caroline Herschel, la première femme à devenir membre de la Société Royale d’Astronomie. Entre autres, ses recherches ont largement contribué à la découverte de la planète Neptune en 1846. Elle se rend cependant disponible pour Ada, qui la consulte lorsqu’elle n’arrive pas à élucider elle-même des problèmes mathématiques.

En 1835, âgée de 19 ans, Ada Byron épouse William King, futur comte de Lovelace, avec qui elle a trois enfants : Byron en 1836, Annabella en 1837 et Ralph Gordon en 1839. Son statut de mère ainsi que ses activités domestiques l’empêchent de se consacrer aux mathématiques, à son grand désarroi.

En 1839, sous la tutelle d’Augustus de Morgan, célèbre mathématicien et époux de Sophia de Morgan, elle recommence son apprentissage des mathématiques et en tire une grande satisfaction. En 1844, Augustus de Morgan témoigne dans une lettre à Annabella de son admiration pour Ada, qui, dès ses débuts, fait preuve, selon lui, d’une véritable « puissance de réflexion » qui aurait pu l’amener à devenir « une chercheuse en mathématiques originale, peut-être de premier ordre ». Mais, à l’époque, les femmes n’avaient pas accès à l’université et Ada Lovelace, autodidacte, menait ses recherches dans l’intimité de sa maison.

Cependant, Ada Lovelace ne se conforme pas aux attentes de la société victorienne vis-à-vis des femmes, préférant se plonger corps et âme dans son travail que de tenir un salon. Elle s’investit particulièrement dans le travail de Charles Babbage et apporte ses propres réflexions aux recherches de ce dernier sur la machine analytique. D’un esprit créatif, elle imagine de nouvelles fonctions pour cette machine, comme celle de programmer de la musique ou des poèmes. Elle parle d’ailleurs de la création d’une « science poétique ».

En 1842 et 1843, Ada Lovelace traduit l’article d’un ingénieur italien, Luigi Menabrea, sur la machine analytique, et y ajoute des pages de notes et de réflexion personnelles, qui triplent la longueur de l’article. C’est dans ces Notes qu’elle crée le premier programme de calcul informatique de l’histoire et préfigure ce qui deviendra l’intelligence artificielle. Les Notes d’Ada Lovelace furent publiées, mais sa véritable identité fut dissimulée derrière ses initiales, « A.A.L ».

La machine analytique de Charles Babbage et d’Ada Lovelace ne verra pas le jour de leur vivant : trop complexe, trop couteuse, elle demeurera théorique. Ada Lovelace avait cherché à tout prix à la financer, mais elle ne récolta que de lourdes dettes de jeu. Décédée d’un cancer en 1852, à l’âge de 36 ans, Ada Lovelace est tombée dans l’oubli pendant près d’un siècle. Ses travaux le furent également, jusqu’à devenir utiles à Alan Turing, qui créa le premier ordinateur.

Aujourd’hui, Ada Lovelace est commémorée dans les milieux scientifiques, et particulièrement de l’informatique, mais aussi plus largement en tant que pionnière dans l’histoire des femmes. Son prénom a été, entre autres, donné à un langage informatique. À cette occasion, Henry Ledgard écrivit : « C’est elle […] qui a traduit l’œuvre du mathématicien italien L. F. Menabrea, en joignant ses propres commentaires scientifiques sur les dissemblances entre le moteur de différence et le moteur analytique. C’était Lady Lovelace, la grande dame de l’informatique, qui a livré les Notes et organisé des écrits de Babbage, avec ses propres amendements inestimables, à un monde qui n’est pas tout à fait prêt à les recevoir » .


Références

[1] Lettre d’Annabella à Lord Byon, citée dans Dana Angluin « Ada Byron Lovelace » in Bettye Anne Case & Anne M. Leggett (eds.) Complexities, Women in Mathematics (2005), Princeton : Princeton University Press (traduction personnelle).

[2] Sophia de Morgan, citée dans Dana Angluin « Ada Byron Lovelace », ibid. (traduction personnelle).

[3] Henry Ledgard (1980) Ada: An Introduction, New York: Springer-Verlag, p.iii (traduction personnelle)



Cécile FARA et Julie MARANGÉ
sont diplômées de Sciences Po Paris. Elles ont créé Feminists in the City, une entreprise engagée pour l’égalité femmes-hommes, pendant leur Master. Questionner la place des femmes dans l’histoire et la culture, transformer les regards sur la ville et la société : telle est la mission de Feminists in the City ! À travers leurs visites guidées à Paris, Lyon, Marseille, Toulouse et Bordeaux, des Masterclasses animées par des intervenant(es) expert(e)s et passionné(e)s et une offre de sensibilisation pour les entreprises, elles offrent une approche innovante, ludique et instructive à l’égalité femmes-hommes

feministsinthecity

@feministsinthecity

feministsinthecity

www.feministsinthecity.com

Auteurs

Cécile Fara
Julie Marangé

Articles du numéro