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01 avril 2020

L'éco-conception du numérique

Publié par Marc Vautier et Mikko Samuli Vaija | N° 196 - Numérique et Environnement

L’éco-conception dans le numérique devrait se ramener à l’éco-conception de services numériques, car chaque utilisateur du numérique utilise des services tout en s’appuyant sur un terminal pour accéder à ce service.                           

La première étape de l’éco-conception passe par une évaluation des impacts du produit ou du service pour ensuite mettre en œuvre un politique ou stratégie de réduction d’impacts. L’Analyse de cycle de vie (ISO 14040/14044) est l’outil reconnu pour évaluer les impacts d’un produit ou d’un service sur l’ensemble des phases du cycle de vie du produit (de l’extraction des matières premières, leur transformation, la fabrication du produit fini, l’usage, la fin de vie et toutes les étapes de transport entre les différentes étapes). Pour un service numérique il faudrait dans le cas idéal faire une Analyse de Cycle de Vie (ACV) pour l’ensemble des éléments constitutifs du service : du terminal jusqu’aux plateformes de services. Vu le niveau de complexité des architectures des services numérique, cette approche est très onéreuse et chronophage.


L’impact des terminaux

Une première approche est de faire une étude d’impact des terminaux. Dans le cadre des réseaux fixes (technologies cuivre xDSL et fibre FTTH) pour les clients résidentiels une étude rapide sur la répartition de la consommation d’énergie montre que les terminaux type Gateway et décodeurs TV représentent près de 90 % de la consommation d’énergie globale. En complément, il est à noter que pour ces terminaux, avec une durée de vie de cinq ans (durée d’usage usuelle), l’ACV indique que près de 80 % de la consommation d’énergie primaire est liée à la phase d’usage. Sur les 20 % restant la phase de fabrication représente la quasi-totalité, l’impact du transport étant faible voir négligeable si celui-ci est effectué par voie maritime entre le lieu de fabrication (par ex. Chine) et le lieu d’utilisation (par ex. Europe). Ces résultats sont fortement liés à l’usage de ces terminaux, habituellement allumés 24h/24 et 7 jours/7. Une analyse de sensibilité montre que s’il est possible de passer l’équipement en veille lorsqu’il n’est pas utilisé, les impacts liés à la phase d’usage diminuent et peuvent dans le cas optimal être du même ordre de grandeur que ceux de la phase de fabrication. En d’autres termes, le principal axe à actionner pour limiter les principaux impacts d’une Gateway ou d’un décodeur TV est de les passer en mode basse consommation lorsqu’ils ne sont pas utilisés. Dans ce cas le temps de sortie de veille devra être le plus court possible pour ne pas impacter l’usage du client final.
          

Dans le cadre d’un smartphone, avec une durée de vie de deux ans, les résultats indiquent que la majeure partie des impacts environnementaux (consommation d’énergie primaire, de ressources ou émissions de gaz à effet de serre, etc.) sont attribués à sa phase de fabrication. La phase d’usage n’a qu’un très faible impact. En effet, les smartphones sont optimisés en termes d’efficacité énergétique, avec une  consommation d’énergie à l’usage très faible afin de maximiser leur autonomie, critère clé pour les utilisateurs. Sur une année, avec une recharge quotidienne le coût pour le client est inférieur à un voire deux euros pour les modèles les plus avancés. La principale action pour réduire les impacts environnementaux d’un smartphone est d’éviter d’avoir à le renouveler, c’est-à-dire augmenter sa durée de vie grâce à une conception facilitant la réparation ou son reconditionnement pour réemploi sur un marché de seconde main.

L’impact des services

L’évaluation des impacts de bout en bout d’un service nécessite de disposer des impacts environnementaux de l’ensemble des produits constitutifs du service, du terminal jusqu’aux plateformes de services, pour ensuite ramener ces impacts à l’usage considéré. Vu la complexité et la variété des réseaux télécom (accès fixe avec le FTTH ou l’xDSL, accès mobile avec les 2G/3G/4G, etc.), la variété des terminaux à prendre en compte (Gateway, décodeur TV, PC, tablette, smartphone) ainsi que la multitude de services disponibles (voix, sms, streaming, consultation de site web, etc.) l’approche classique basée sur l’ACV est onéreuse, chronophage et donc rarement mise en œuvre. Aussi pour avoir un premier niveau de connaissance des impacts d’un service, des méthodes alternatives sont actuellement en développement dans le cadre d’un projet (NégaOctet) collaboratif financé par l’ADEME.Le monde du numérique, comme beaucoup d’autres domaines industriels, travaille à la réduction de ses impacts en se focalisant dans une première approche sur l’amélioration de l’efficience énergétique, matière et de ses processus. Cette démarche a pour objectif de réduire les impacts par unité d’information transportée. Ainsi l’efficience énergétique de la 4G est environ 10 fois plus élevée que celle de la 3G en termes de kWh consommés par GB transmis. Ces gains d’efficience conduisent à une réduction des coûts globaux, ce qui favorise le développement de nouveaux services et usages fortement consommateurs de données (par ex. la vidéo 4K). Au final, la réduction des impacts globaux n’est pas à la hauteur des gains espérés. Ce phénomène, appelé « Effet Rebond », atténue en partie les gains d’efficience énergétique menés dans différents domaines (automobile, aviation civile, etc.).

L’objectif est global

Une réduction dans l’absolu des impacts environnementaux oblige simultanément à travailler à l’efficience globale et à la sobriété d’usage des produits & services mis à disposition des clients. L’objectif des fournisseurs de services est de répondre aux justes besoins de leurs clients et de suivre l’évolution de leurs besoins, sans créer d’appel d’air.

Marc Vautier           

est impliqué dans le développement durable et l'éco-conception au sein d'Orange depuis plus de 12 ans, d'abord dans différentes activités de R&D puis au sein d'entités marketing afin de réduire l'impact environnemental des produits et services d'Orange (mode basse consommation, éco-conception logicielle, plastique recyclé, plastique bio, rénovation de boîtes, fin de vie, économie circulaire....). Aujourd'hui M. Vautier  est en charge de la Communauté d'Experts Orange en Energie & Environnement qui regroupe plus de 60 experts de différents pays Orange (UE & MEA), ayant des compétences en énergies renouvelables, énergie, efficacité énergétique, ACV, éco-conception de produits et services, gestion des déchets, DEEE, EMF/EMC, ACV.           

Avant de s'impliquer dans le développement durable, Marc a passé près de 20 ans en R&D dans le domaine des télécommunications (accès, transmission, architecture, etc.) 


       

Samuli VAIJA            

Titulaire d’un Master 2 en Ingénierie Système et d’un Mastère Spécialisé en Eco-conception & Management Environnemental M. VAIJA débute son parcours professionnel en 2010 au sein d’Orange Labs Services à Meylan. Il travaille successivement sur la méthodologie d’affichage environnemental Orange pour les téléphones mobiles, la réalisation de multiples analyses de cycle de vie de produits électroniques ainsi que sur le projet d’éco-conception de la quatrième génération de Livebox et de décodeur TV. En 2017 Mikko Samuli VAIJA rejoint l’entité Orange Labs Networks de Cesson-Sévigné pour couvrir les aspects d’économie circulaire des équipements réseaux, avec notamment des travaux sur les impacts environnementaux de la modularité ou de la virtualisation.

 

 

 

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Marc Vautier
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