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01 avril 2020

Le numérique au service de la décarbonisation

Centre de l’attention dans les débats politiques, la transition écologique est devenue un enjeu majeur de notre époque. On observe depuis 10 ans une explosion du secteur CleanTech à savoir les entreprises qui proposent des produits et des services qui s’inscrivent dans une logique de développement durable. Cela correspond d’une part à une prise de conscience de la société avec également un travail d’influence, et d’autre part à une volonté politique, comme le prouve la stratégie 2050 de la Commission européenne. Plusieurs objectifs sont décrits et tous se retrouvent dans celui de la neutralité carbone pour une augmentation de 1,5° C maximum à l’horizon 2050. 


Dans le cadre de notre travail sur le Prix des Technologies Numériques, nous nous sommes ainsi demandé quelle est la place du numérique dans cette transition écologique ? Dans quelle mesure l’écosystème des start-up tech est-il aujourd’hui vecteur d’innovations allant dans le sens de la décarbonisation et de l’économie d’énergie ? Tel est l’objet de notre étude d’une centaine de start-up tentant de relever le défi en France. Nous vous proposons ici d’en dégager les grandes tendances.

Le numérique au service de l’efficience énergétique

Le thème « Environnement et Numérique » englobe des approches très diverses. Mais en France aujourd’hui, le secteur s’oriente clairement vers l’énergie. En effet, le programme pluriannuel de l’énergie (PPE) français vise des objectifs ambitieux, telle une baisse de 20 % de consommation d’énergie fossile en France dès 2023. Additionnellement, les certificats d’économie d’énergie imposent économiquement des comportements énergétiques de plus en plus sobres. Conséquemment, les investissements CleanTech se focalisent jusqu’à plus de 50 % sur les énergies renouvelables ainsi que sur l’efficacité énergétique.

L’efficacité énergétique se définit comme « Le rapport entre les résultats, le service, la marchandise ou l’énergie que l’on obtient et celle consacrée à cet effet ». Sur ce sujet, les solutions numériques abondent. Plateformes de collecte des données, maintenance prédictive, optimisation des flux d’énergie : la data se place au cœur du secteur comme le moyen d’économiser et d’optimiser les usages. Par ailleurs, l’émergence des réseaux intelligents (smart grids) représente une réponse aussi bien économique que technologique pour répondre à ces enjeux d’économies d’énergie.  Prenons la start-up DCBrain par exemple. Elle crée des jumeaux numériques des systèmes de réseaux physiques industriels et les place sous la main des opérateurs afin de visualiser les pics d’usage et de proposer des solutions d’économie.

Que ce soient bâtiments tertiaires, industriels ou d’habitation, les données sont là, prêtes à être récoltées et traitées afin de moins consommer. Et les start-up françaises s’associent avec les grands producteurs d’énergie, tels que CNR, Engie et Dalkia pour non seulement produire de l’énergie plus efficace, mais aussi pour atteindre une clientèle qui pourrait en consommer moins.

Le secteur plus spécifique des énergies renouvelables adopte lui aussi les technologies numériques, surtout l’IoT, pour surmonter ses contraintes de rendement, d’autonomie et de fiabilité. MyLightSystems par exemple, déploie une multitude de produits, variant du coffret connecté à la solution logicielle dont l’objectif est simple : augmenter la performance des installations solaires d’autoconsommation. Les capacités offertes par un système communicant, connecté et une collecte des données suivie d’une visualisation de ces dernières ont permis de surmonter les obstacles de ce secteur.

L’émergence timide d’un numérique durable

Si l’on s’écarte de la production pour aller vers les grands consommateurs d’énergie, on s’aperçoit que le numérique est un des secteurs les plus consommateurs d’électricité.  Le numérique représente aujourd’hui 10 % de la consommation mondiale en électricité, les data centers représentant près de 40 % cette facture.  De plus, le numérique n’est pas seulement un consommateur d’énergie. Nombre de produits qui voient le jour aujourd’hui nécessitent des matériaux comme les métaux précieux ou les terres rares. Tout cela génère un coût environnemental conséquent, surtout lorsque l’on sait que peu de ces objets sont recyclés du fait de leur complexité. Une première approche est bien évidemment de réduire la consommation du numérique. Cette approche est peu envisagée car le numérique génère de gros profits et la dépense devient souvent secondaire. Les préoccupations écologiques sont toutes récentes et les grands acteurs du secteur commencent seulement à se pencher sur la question. 

Nous nous sommes donc demandé si certaines innovations technologiques pourraient permettre de réduire la consommation du numérique lui-même.         

Prenons l’exemple de l’intelligence artificielle qui a toujours nécessité beaucoup de puissance de calcul, en effet, la norme était de récolter les informations, de les acheminer vers un datacenter puis de faire fonctionner l’intelligence artificielle dans le datacenter et ensuite de retourner les données traitées. Cartesiam, une start-up du Sud de la France veut changer la donne. Cette start-up s’intéresse au Nano Edge AI (edge computing), c’est-à-dire de non pas réaliser les calculs dans un datacenter mais au plus près de la donnée, dans les capteurs. Plus précisément, Cartesiam a réussi à créer un logiciel permettant de transformer les microcontrôleurs en cerveaux capables de faire fonctionner une intelligence artificielle. Pour parler d’économies, un système « on edge » consomme 25 % d’énergie de moins qu’un système centralisé dans un datacenter.            

Une autre conséquence du numérique est la croissance exponentielle de dispositifs obsolètes ou considérés comme tels. La complexité de ces objets est toujours plus grande et donc leur recyclage est en général trop onéreux. Deux start-up françaises, Back Market et Certideal, s’attèlent à résoudre ce problème en proposant des solutions de reconditionnement pour favoriser le recyclage de dispositifs numériques tels que les téléphones portables ou les ordinateurs. Ces derniers ont déjà reconditionné plus de 26 000 tonnes de dispositifs. Cette tendance au reconditionnement est particulièrement importante sachant qu’auparavant, les appareils obsolètes étaient envoyés dans des décharges où ils n’étaient pas recyclés et leur décomposition prenait plusieurs milliers d’années.            

Enfin, certains ont préféré prendre le problème à l’envers et se sont tournés vers la construction. Ainsi, Energie IP fournit une solution de câblage des bâtiments permettant de faire passer du courant et de la donnée simultanément et ce, pour tous les appareils. Cela permet de réaliser des économies à la construction en divisant la quantité de matière première par deux et cela simplifie la gestion de l’énergie dans le bâtiment.

Un secteur en émergence, en France et dans le monde           

Bien qu’aujourd’hui la part d’investissement dans les start-up dans les énergies renouvelables et positionnées sur l’efficacité énergétique reste majoritaire, on constate une augmentation des investissements dans d’autres secteurs tels que la gestion des déchets, l’écomobilité et l’agriculture. D’après un rapport de la société d’investissement privée Cambridge Associates, 42 milliards de dollars ont ainsi été investis dans les cleantech en 2018 (capital risque et capital-investissement) dont 26 milliards aux États-Unis.           

Dans ce secteur, la France semble être plutôt bien positionnée en termes d’innovations technologiques et entrepreneuriales dans le secteur « Environnement et Numérique ». En effet, le CleanTech group, qui établit régulièrement un index afin de répondre à la question “Quels pays ont le plus de potentiel pour générer des start-up cleantech qui commercialiseront des innovations technologiques propres dans les 10 prochaines années ?”, place la France en 13e position sur 40 pays étudiés en 2017. Le Danemark, la Finlande et la Suède arrivent en tête et on remarque que les États-Unis, qui sont un gros pollueur se placent en 5e position. Si on compare les notes obtenues pour les différents critères de notation, on voit que malgré une forte émergence de la CleanTech Early Stage en France (investissements early stage, dépôts de brevets,...), les start-up françaises ont du mal à passer à l’étape de la commercialisation.            

Cependant, nous avons constaté que la France a vu le nombre d’acteurs d’accompagnement des start-up cleantech exploser sur son territoire ces dernières années. En effet, la grande majorité ont moins de 10 ans d’ancienneté et un nombre important, moins de 5 ans. Du fait de la jeunesse de ces acteurs, il est encore trop tôt pour déterminer avec précision leur impact sur l’innovation française en matière de cleantech et sur la transition vers une économie durable. Il sera intéressant de voir comment tous ces nouveaux acteurs des cleantech impacteront le classement de la France dans le prochain rapport.           

Ces acteurs sont principalement composés de fonds d’investissement, d’incubateurs et d’accélérateurs mais également de prix, associations et sommets qui visent à récompenser, encourager et médiatiser les start-up du secteur. Il est intéressant de constater que certains de ces acteurs ne sont pas indépendants. De nombreux grands groupes, notamment dans l’énergie, lancent des initiatives avec le but de trouver et de favoriser les start-up de l’économie de demain. C’est le cas de l’incubateur plant 4.0, une initiative de Total, où a séjourné DC Brain, ou bien du prix EDF pulse décerné à Lancey en 2016.           

Par ailleurs, une tendance peut être mise en évidence chez tous ces acteurs à savoir un lien fort entre start-up environnementales et start-up sociales. En effet, un grand nombre d’entre eux promeuvent également les start-up sociales. Cela vient peut-être du fait que les 17 objectifs de l’ONU pour le développement durable mêlent ces deux thématiques. D’ailleurs beaucoup de fonds indiquent clairement sur leur site web se baser sur ces critères pour choisir leurs start-up.


 

Mathilde Garnier            

Étudiante en double diplôme à Télécom Paris et à HEC Paris, j’ai souhaité compléter ma formation en sciences des données par une formation en stratégie et management avant de m’orienter vers l’économie du numérique et de l’innovation. Convaincue de la nécessité de mettre le numérique au service de la transition écologique, j’ai décidé de m’investir dans la recherche de startups de la CleanTech pour le Prix des Technologies Numériques 2020.


                           

Corentin Robineau             

Je rejoins Télécom Paris en 2016 après une licence informatique. Entre 2018 et 2019, j’effectue une année de césure qui me permet de découvrir le travail dans un grand groupe ainsi que le travail au sein d’une startup. Je décide ensuite d’utiliser ma dernière année à Télécom Paris pour me lancer dans la réalisation d’un projet entrepreneurial.


                                           

Hany Daher 

Étudiant ingénieur en double diplôme Télécom Paris / Université Libanaise Faculté de Génie. J’ai intégré la filière sciences des données en 2e année suivie par le master « Innovation et Transformation Numérique » en partenariat avec Sciences Po. Je compte amorcer ma carrière professionnelle dans le conseil tech, notamment à travers un stage en conseil data et analytique chez Capgemini Invent.


                           

Pierre Saudin          

À la suite d’une classe préparatoire, j’ai rejoint Télécom Paris où j’ai eu l’occasion d’apprendre les bases en matière de numérique. J’ai ensuite choisi de faire un double diplôme avec HEC Paris afin d’acquérir des compétences de Management. Aujourd’hui, je m’oriente vers l’entrepreneuriat avec l’ambition de créer une start-up.  

Auteurs

Pierre Saudin (2019), Mathilde Garnier (2019)

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