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01 avril 2020

Mesurer notre empreinte numérique

Publié par Frédéric Bordage | N° 196 - Numérique et Environnement

Sous l’égide de l’ADEME et du CNRS, les meilleurs experts du sujet finalisent un outil consensuel pour quantifier les impacts environnementaux du numérique.

Au sein du collectif GreenIT.fr, nous quantifions les impacts evironnementaux du numérique depuis 15 ans, à toutes les échelles : monde [1], internet [2], entreprise [3], service numérique [4], etc. Cette expérience de terrain nous a appris que pour témoigner justement de l’impact environnemental du numérique, il faut absolument réaliser l’évaluation en cycle de vie complet, de bout en bout, et à l’aide de plusieurs indicateurs environnementaux. Au fil du temps, nous avons développé des outils et des méthodes qui respectent ces principes et font référence.


Plus de doute sur la méthode : cycle de vie           

Notre empreinte numérique est constituée des impacts environnementaux qui ont lieu tout au long de la vie des équipements que nous manipulons et des équipements dont ils dépendent eux même. Un smartphone sans antenne relais (radio base station), sans serveur, et sans autre smartphone, n’a aucun intérêt.           

Dans la vie courante, on quantifie généralement les impacts à deux niveaux de granularité : tout le système d’information ou un service numérique. Pour le système d’information, l’enjeu est d’identifier les sources d’impact pour les réduire par une approche de type Green IT. À l’échelle d’un service numérique, l’enjeu est plutôt de le (re)concevoir différemment au travers d’une démarche d’écoconception. On s’intéresse alors à l’acte métier : prendre un rendez-vous chez un médecin, consulter le solde de son compte en banque, trouver l’horaire d’un train, etc. C’est cette entrée métier qui permet de quantifier correctement les impacts et de les réduire.          

Une fois ce périmètre clairement défini, l’analyse se fait toujours en considérant toutes les étapes du cycle de vie de tous les équipements et flux (électricité, papier, eau, etc.) constituant le système étudié. Cette analyse du cycle de vie (ACV) est définie par les standards internationaux ISO 14044 et ISO 14040.            

Pour éviter les transferts de pollution, ces standards internationaux nous incitent en complément à utiliser différents indicateurs environnementaux : réchauffement global, épuisements des ressources abiotiques, tension sur l’eau douce, eutrophisation, acidification, toxicité humaine, toxicité pour les écosystèmes, etc. L’approche monocritère Gaz à Effet de Serre (GES), a fortiori si elle ne porte que sur la phase d’utilisation, est particulièrement dangereuse car elle génère presque toujours d’autres impacts sur une autre étape du cycle de vie.          

En résumé, il n’y a aucun débat au sein de la communauté sur l’approche à retenir pour quantifier les impacts. Les rares outils sérieux existants s’appuient tous sur une approche cycle de vie, multicritères, de bout en bout telle que définie par ISO 14044/40.

Un socle commun pour évaluer les impacts           

S’il n’y a plus de débat sur la méthode, plusieurs outils ont été développés au fil des ans pour répondre à des besoins spécifiques. C’est le cas par exemple du Benchmark Green IT développé par GreenIT.fr depuis 15 ans qui permet de quantifier les impacts environnementaux du système d’information d’une grande organisation en quelques jours.homme (via une ACV type screening) pour ensuite comparer cette empreinte avec celle d’autres systèmes d’information. On peut alors se positionner par rapport aux min, max, moyenne de l’échantillon et construire un plan d’action objectif. Cet outil, aujourd’hui le plus utilisé en France et en Europe, a déjà servi de base à des Benchmarks tels que ceux du Club Green IT [5], du WWF [6], et de leurs partenaires : C3D, Cigref, etc. ayant réuni plus de 50 grandes organisations au total, situées partout dans le monde.           

De son côté, le Collectif conception numérique responsable propose, depuis six ans, un outil d’évaluation pour les pages web – EcoIndex [7] – décliné sous la forme d’un service en ligne et d’extensions pour navigateur. Ces deux outils s’appuient sur ISO 14044/40.            

D’autres acteurs, notamment des spécialistes des ACV tels que DDemain, LCIE et Neutreo by APL, ont développé leurs propres modèles et facteurs d’impacts sur la base des standards internationaux.           

Le Diable se cachant dans les détails, c’est surtout lors de la définition des critères de coupure et des frontières du système que l’on risque de passer à côté d’enjeux environnementaux. Peut-on économiser quelques jours de travail en n’intégrant pas la phase de distribution dans le modèle ? Est-il raisonnable d’approximer certains facteurs d’impacts ? Comment ont-ils été calculés ? etc.

Pour apporter une réponse consensuelle à ces questions, les meilleurs experts du domaine se sont regroupés au sein du projet de recherche NegaOctet [8]. Piloté et co-financé par l’ADEME, il vise à réunir leurs modèles et facteurs d’impacts pour que tout le monde quantifie les impacts du numérique à peu près de la même façon.           

Ce socle commun pour évaluer les impacts environnementaux du numérique sera ensuite utilisé pour calculer les facteurs d’impacts « grosse maille » que tout le monde évoque partout, tout le temps, sans jamais les avoir calculé ou lu l’étude sous-jacente, tels que l’envoi d’un mail, la diffusion d’une vidéo pendant une heure, etc.          

In fine, la France disposera d’ici peu d’un outil consensuel à la pointe de la recherche pour quantifier les impacts environnementaux du numérique. Cet outil mis au point sous l’égide de l’ADEME et d’un comité de pilotage regroupant, entre autres, des experts tels que le CNRS et le Pôle éco-conception pourrait servir de base à la production de facteurs d’impacts publics, multicritères, à l’état de l’art.


Références           

1 Empreinte environnementale du numérique mondial, GreenIT.fr, 2015-2019, https://www.greenit.fr/empreinte-environnementale-du-numerique-mondial/           

2 Quelles est l’empreinte environnementale du web ?, GreenIT.fr, 2015, https://www.greenit.fr/2015/05/12/quelle-est-l-empreinte-environnementale-du-web/            

3 We Green IT, WWF France, 2018, https://www.wwf.fr/projets/numerique-responsable et Benchmark Green IT, 2017, https://club.greenit.fr/benchmark2017.html             

4 Opération Greenconcept, CCI Occitanie et Ademe, 2016-2019,http://www.greenconcept-innovation.fr/         

5 Benchmark Green IT, Club Green IT, de 2016 à 2019, https://club.greenit.fr/benchmark.html            

6 Étude We Green IT, WWF France, 2018, https://www.wwf.fr/projets/numerique-responsable fr/2019/09/24/?pour-une-low-tech-numerique/            

7 EcoIndex, Collectif conception numérique responsable, http://www.ecoindex.fr/quest-ce-que-ecoindex/ et https://chrome.google.com/webstore/detail/greenit-analysis/mofbfhffeklkbebfclfaiifefjflcpad             

8 Projet NegaOctet, https://negaoctet.org/


                   

Frédéric Bordage  

est l’expert français du numérique responsable et de la sobriété numérique. Depuis quinze ans, il anime la communauté GreenIT.fr et aide de grandes organisations privées et publiques à faire de la low-tech et de l’écoconception des axes d’innovation et de performance. Il est l’auteur des ouvrages et études de références, notamment, pour les plus récents, « Sobriété numérique : les clés pour agir » chez Buchet-Chastel (2019), « Ecoconception web : les 115 bonnes pratiques » chez Eyrolles (2012-2019), et « Empreinte environnementale du numérique mondial » (2019).                   

 

 

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Frédéric Bordage

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