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01 avril 2020

Pourquoi la technologie ne nous sauvera pas du désastre écologique

Publié par Clément Jeanneau | N° 196 - Numérique et Environnement

Face au dérèglement climatique, « le développement technologique est la seule issue » affirmait il y a quelques mois le polémiste Laurent Alexandre, marchant ainsi dans les pas de nombreux autres techno-prophètes. Dans l’ensemble de ses propos sur le sujet, Laurent Alexandre a raison sur un point : écoutons les scientifiques. Or que nous disent-ils ?                         

Les Scientifiques nous montrent que la « solution » de la géo-ingénierie, cet ensemble de techniques visant à modifier le climat en espérant anéantir le réchauffement de la planète, est un mirage. C’est par exemple le résultat des travaux du chercheur Alexandre Magnan, qui a étudié avec d’autres scientifiques les techniques de géo-ingénierie appliquées aux océans : celles-ci constituent, dit-il, « des solutions hasardeuses, avec de potentiels effets collatéraux importants, et qui s’adressent aux symptômes sans répondre aux causes de la crise climatique ».


Des technologies illusoires 

Les voix sont nombreuses pour alerter sur les risques de ce type de solutions. Les techniques de capture et de séquestration du CO2 sont à considérer avec d’autant plus de prudence qu’elles ne se feront pas sans coûts. Elles coûteront d’abord cher financièrement ; or, comme le souligne l’ingénieur Jean-Marc Jancovici (1986), notamment membre du Haut Conseil pour le Climat, qui paiera pour mettre sous terre ce CO2, dans un système où personne ne gagne d’argent directement pour le faire ? Elles coûteront cher énergétiquement, ensuite, puisque capturer du CO2 implique une pénalité énergétique élevée. Elles pourraient coûter cher écologiquement, enfin, en raison des risques qu’elles posent pour les équilibres naturels.           

De la même façon, il serait irréaliste de faire reposer nos espoirs de transition énergétique sur l’hypothétique maîtrise de la fameuse fusion nucléaire : si celle-ci serait effectivement, sur le papier, un gigantesque pas en avant, ses perspectives restent bien trop lointaines pour en faire une solution envisageable dans les délais impartis. De façon générale, l’idée que nous pourrions éviter les effets catastrophiques du dérèglement grâce à des découvertes technologiques bute sur un simple problème de calendrier : à supposer que de telles découvertes soient faites (postulat déjà optimiste), les phases de planification, construction, tests, mises en place aux échelles suffisantes prendrait des décennies. Nous ne disposons pas de ce temps. Croire l’inverse revient à nier l’ampleur du problème.

Les mirages de la transition énergétique 

Appréhender l’avenir avec sérieux implique également d’écouter les historiens. Jean-Baptiste Fressoz, historien de l’environnement et chercheur au CNRS, montre dans ses travaux que l’impact des technologies dans la transition énergétique a tendance à être largement surestimé. Il souligne qu’au cours des derniers siècles, l’homme a surtout additionné des consommations d’énergie, plus qu’il n’a mené de véritables transitions énergétiques. De fait, 38 % de l’électricité mondiale est encore aujourd’hui alimentée au charbon, avec une production et une demande en hausse en 2018.        

En réalité, comme l’explique Jean-Baptiste Fressoz, le fait de se focaliser sur l’offre d’énergie, c’est-à-dire sur les choix de mix énergétique et sur les techniques de production, conduit à se détourner d’un levier essentiel de changement : agir sur la demande d’énergie, ce qui implique de diminuer la consommation.           

Or cette diminution ne peut se faire en misant uniquement sur une meilleure efficacité énergétique permise par des technologies innovantes : ces gains d’efficacité risquent en effet de mener, comme par le passé, à une augmentation des usages et donc de la consommation, annulant ainsi les bénéfices environnementaux initiaux... Viser plus de sobriété est donc un impératif.

Le « vivant » dépasse les technologies           

Enfin, la technologie est une réponse d’autant plus limitée que la question climatique n’est pas la seule facette du problème. La biodiversité est encore trop souvent la grande oubliée des discours techno-optimistes. Or l’effondrement du vivant n’est pas une croyance propre aux pessimistes ou aux « collapsologues », mais déjà une réalité, qui fait consensus parmi les chercheurs. Sur ce terrain-là aussi, il est urgent d’écouter les scientifiques.           

La notion de services écosystémiques, en particulier, reste étonnamment incomprise de la part d’individus prétendant vouloir « changer le monde » par la technologie. L’innovation technologique est largement impuissante aussi bien pour freiner l’érosion de la biodiversité que pour en limiter les conséquences : reproduire la complexité et la richesse des services écosystémiques, qui permettent la vie sur Terre, ne peut être envisageable sérieusement, d’autant plus que l’homme est loin d’avoir découvert tous leurs mécanismes.

En guise de recommandation

In fine, croire que la technologie peut nous sauver du désastre écologique relève de l’hubris, cet orgueil de l’homme qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec un trop-plein de virilité à travers le monde. L’affirmer n’est pas être pessimiste mais réaliste, au regard des multiples alertes des scientifiques.

Dans ce contexte, il est urgent de sortir des postures caricaturales et des oppositions binaires entre pro et anti-technologie. Celle-ci peut être un instrument de progrès et d’émancipation, en fonction des cas. Elle n’est simplement pas une baguette magique. La foi aveugle en la technologie est dangereuse parce qu’elle nous illusionne sur la gravité des problèmes écologiques et sur l’ampleur des efforts à mener : pour ses partisans - et tous ceux contraints de subir leur entêtement - la chute n’en sera que plus dure.


                     

Clément Jeanneau          

Clément Jeanneau est entrepreneur (cofondateur de Blockchain Partner, leader français du conseil sur les technologies blockchains) et auteur du site SignauxFaibles.co. Il intervient régulièrement dans le débat public sur les enjeux de prospective et de société (Les Echos, Le Point, La Recherche...) et est à l’initiative de la newsletter « Nourritures terrestres » sur les questions environnementales.

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Clément Jeanneau

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