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29 juillet 2021

Pour un pilotage environnemental du numérique

Le think tank The Shift Project a étudié l’impact environnemental, donc la consommation énergétique de la production et de l’utilisation des équipements numériques. Il a publié en 2018 un rapport intitulé « Lean ICT : Pour une sobriété numérique », suivi de trois autres : « Climat : l’insoutenable usage de la vidéo en ligne » en 2019, « Déployer la sobriété numérique » en 2020 et « Impact environnemental du numérique : tendances à cinq ans et gouvernance de la 5G ».
En voici une synthèse.


LE NUMÉRIQUE, PARTOUT, POUR TOUT ET POUR TOUS

Le secteur du Numérique est aujourd’hui considéré comme le principal levier de développement économique et social par les acteurs de politiques publiques et les entreprises du monde entier. De fait, jusqu’aux 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU, il ne saurait aujourd’hui y avoir de stratégie d’envergure qui n’y ait recours.

Parallèlement, nos modes de vie et de consommation lui accordent une place toujours plus importante : en France, un adulte consacre quatre heures par jour à utiliser une interface numérique (hors télévision), un utilisateur de smartphone sur deux ne l’éteint jamais et un foyer avec enfants possède près de dix écrans.

Compte tenu de leur capacité à dématérialiser les flux physiques et à fluidifier l’accès aux produits et services, ces technologies semblent intrinsèquement faciliter la transition environnementale dont l’urgence ne cesse par ailleurs de se confirmer. Or cette confiance instinctive en l’outil connecté et en l’innovation étiquetée « smart » se doit d’être nuancée par des constats physiques bien réels.

 

L’EMPREINTE ENVIRONNEMENTALE : LA FACE CACHÉE BIEN SOMBRE DU NUMÉRIQUE [1]

Cachée par nos écrans et interfaces, l’empreinte matérielle du Numérique n’en est pas moins conséquente : en 2019, sa part dans les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) est de 3,5 % et près de 9 % de la production électrique mondiale alimente les usages numériques. La tendance actuelle d’augmentation de cette empreinte est encore plus préoccupante puisqu’elle ferait croître ces chiffres de moitié d’ici 2025. Et dans un scénario de relance forte de la croissance à iso-modèles économiques conjugué à un ralentissement (déjà perceptible) des progrès d’efficacité énergétique, on assisterait plutôt à un doublement de ces mêmes chiffres. Dans ce dernier cas, la consommation électrique du numérique en 2025 (3900 TWh) absorberait 50 % de la production électrique[2] issue de l’éolien, du solaire et de l’hydraulique si l’on souhaitait la « verdir » à 100 %, ce que certains fournisseurs numériques prennent comme hypothèse dans leurs stratégies annoncées de « neutralité carbone ».

POUR UN PILOTAGE ENVIRONNEMENTAL DU NUMÉRIQUE

Or, cette inflation des impacts environnementaux du numérique ne provient pas d’innovations qui permettraient par ailleurs de réduire l’empreinte carbone de secteurs où elles s’appliqueraient, par effet d’optimisation ou de substitution mais au contraire de nouveaux usages « non essentiels » tels que, par exemple, la « vidéo en ligne[3] » au service de l’industrie du divertissement et qui représente 60 % de la croissance du trafic sur les réseaux de télécommunications, ou la majorité des solutions de type IoT conçues pour augmenter notre confort individuel ou domestique et qui vont contribuer au doublement du parc d’objets connectés d’ici 2025[4].

Elle coïncide par ailleurs avec l’omniprésence des acteurs dominants du numérique (les GAFAM ou les FAANG en Occident, les BATX en Chine) dont les modèles économiques reposent précisément sur la stimulation des volumes sans internalisation de ses conséquences économiques ou environnementales.

Or, seule une modération de nos usages (la sobriété) limitant ainsi la croissance des volumes numériques permettra de revenir à une trajectoire gérable faisant du développement du numérique un atout pour la transition environnementale.

Un tel changement de paradigme ne pourra donc s’opérer que grâce à une approche systémique volontariste incluant notamment :

  • Des politiques publiques permettant aux consommateurs de prendre conscience des conséquences environnementales de leurs usages et instaurant une régulation dissuadant les pratiques « inflationnistes » (autoplay par exemple) et favorisant les solutions les moins énergivores.
  • L’intégration par les entreprises de la dimension environnementale dans le pilotage stratégique et opérationnel de leurs transitions numériques.
  • La prise en compte par les territoires des impacts environnementaux directs et indirects de leurs stratégies numériques, passant par l’évaluation des projets qui les composent.
  • Une évolution similaire des cadres législatifs et réglementaires européens.


Il est possible — et nécessaire — de reprendre la main sur nos usages afin de favoriser les apports les plus essentiels de nos systèmes numériques.

La proposition de loi adoptée au Sénat visant à réduire l’impact environnemental du numérique et venant en discussion à l’Assemblée Nationale mérite donc que nous y consacrions toute notre attention.


Références

[1] Les chiffres et constats présentés sont issus du rapport « Pour une sobriété numérique » publié par le think-tank The Shift Project en octobre 2018, actualisés en mars 2021. Sauf mention contraire, les chiffres cités de consommation d’énergie et d’émissions de CO2 sont d’échelle mondiale et englobent la production des équipements et l’utilisation des produits et services numériques.

[2] Agence Internationale de l’Energie, World Energy Outlook 2019, scénario STEPS.

[3] On ne compte pas ici les services de visioconférence ni les flux télévisuels fournis par les opérateurs.

[4] IoT Analytics, Cellular IoT and LPWA Connectivity Market Tracker 2010-2025.


THE SHIFT PROJECT

The Shift Project , think tank de la transition carbone, a pour vocation de se saisir des enjeux-clés de la transition carbone. Association loi de 1901 reconnue d’intérêt général et guidée par l’exigence de la rigueur scientifique, sa mission est d’apporter les éléments factuels et quantitatifs qui permettront d’effectuer les arbitrages nécessaires à la réussite de la transition. The Shift Project se veut le promoteur d’une économie soutenable, qui ne soit ni anticapitaliste par principe, ni en porte-à-faux avec les constats scientifiques.

 


Hugues FERREBOEUF

a effectué la majeure partie de sa carrière professionnelle dans le secteur des technologies de l’information, dont plus de 15 ans à des postes de direction générale.
Il est Ingénieur des Mines, diplômé de l’École Polytechnique et de Télécom Paris.
Associé cofondateur de Virtus Management, société de conseil de direction, il a rejoint par ailleurs le think tank The Shift Project fin 2016 où il dirige le projet Sobriété Numérique.
Il est par ailleurs conférencier en France et à l’étranger et enseigne à Sciences Po Paris.

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