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23 décembre 2022

Infrawind et Métacloud Le « 1 % artistique » du bâtiment de Télécom Paris à Palaiseau
Quand l’artiste et son financeur se retrouvent cinq ans après

À l’occasion du dossier « Quand la technologie rencontre l’art » de ce numéro de la revue TELECOM, il a été demandé à celui qui fut directeur de Télécom Paris pendant les douze années que dura le projet de déménagement de l’École à Palaiseau, de revenir sur l’œuvre artistique qui « habite » aujourd’hui le bâtiment, en exposer la genèse, en décrire les éléments constitutifs et en expliquer le sens.

Il faut dire que cette œuvre, financée par l’obligation légale de consacrer 1 % du budget des travaux de construction à une œuvre d’art (d’où le surnom de « 1 % artistique »), est singulière à bien des égards, et que le panneau explicatif fixé à l’un des murs de l’atrium (voir illustration à droite) est une invitation, souhaitée par l’artiste lui-même, Evariste Richer, à ne pas se contenter de la contemplation de son œuvre mais bien d’aller jusqu’à son explication.

Acceptant bien volontiers de me livrer à l’exercice, je rencontrais donc Evariste le 29 septembre 2022, soit (sans le vouloir) cinq ans jour pour jour après la date de sélection de son projet par le jury (voir plus bas), pour revenir avec lui sur son œuvre. Le présent article est la reformulation de nos échanges à l’occasion de cette rencontre. Les expressions entre guillemets sont des verbatims de l’artiste.


Le cahier des charges de l’Institut Mines-Télécom et de Télécom Paris

Outre le montant financier qui était fixé, par la loi, à 1 % du montant des coûts des travaux (soit environ 850 000 €), le cahier des charges de l’IMT et Télécom Paris était assez léger puisqu’il imposait seulement aux artistes soumissionnaires de proposer une œuvre comprenant :

  • du mobilier dans les espaces publics de convivialité.
  • des dispositifs d’orientation des visiteurs (qui ne soient pas la signalétique, prévue par ailleurs).

L’objectif, à peine avouable, de l’IMT et de Télécom Paris (mais aussi de la tutelle, puisqu’il s’agissait d’argent public) était de faire en sorte que cette œuvre d’art soit la plus « utile » possible et qu’elle puisse ainsi en partie alléger le budget consacré à la réponse aux besoins fonctionnels, notamment celle relative au mobilier nécessaire dans les nombreux espaces de dégagement et lieux de convivialité et celle relative à l’orientation dans un espace de plus de 40 000 m2 réparti sur cinq niveaux.

La réponse d’Evariste Richer et ses sources d’inspiration

Lorsqu’il prit connaissance de l’appel d’offre mais surtout du projet immobilier au travers du dossier de l’architecte (à l’époque, à l’hiver 2017, le bâtiment n’était pas encore sorti de terre), ce qui a frappé l’artiste c’était que, dans son désir d’ancrage sur ton territoire et malgré les baies vitrées en plusieurs endroits, le bâtiment allait apparaître comme très minéral, statique et « tourné vers son intérieur ».

Il a donc d’emblée travaillé sur une œuvre qui permettrait à la fois « au regard de traverser les murs » et à l’esprit d’imaginer une circulation de l’air dans les couloirs de la construction. Enfin, s’agissant d’un bâtiment d’une hauteur significative, il a imaginé une œuvre « jouant avec le dégradé de l’azur ».

Par ailleurs, l’obligation de prévoir un dispositif d’orientation lui a immédiatement inspiré l’idée d’une cartographie et plus précisément, dans la conjugaison avec les idées précédentes, d’une carte météorologique aérienne.

C’est ainsi que sont nés les panneaux de nuages, dont le bleu du ciel est d’autant plus profond que l’on monte dans les étages et dont les nuages eux-mêmes sont différents selon les niveaux, depuis les stratus (les plus proches du sol) jusqu’aux cirrus (les plus en altitude), en passant par les cumulus et les cumulonimbus. (voir illustration à gauche). L’artiste se réfère ici à la classification des nuages issue de l’atlas des nuages de l’Organisation météorologique mondiale.

C’est ainsi que sont nés également les éléments de mobilier, inspirés des cartes des vents en aéronautique, avec leurs hampes (figurant la direction du vent) et leurs barbules (figurant la vitesse du vent, un barbule = 10 nœuds). (Voir illustration à droite).

Pour parachever l’œuvre, les roses des vents (sur fond d’un bleu aligné sur celui de chaque étage) se sont imposées à lui comme un dispositif d’orientation qui ne soit pas une signalétique.

Par ailleurs, pour les panneaux de nuages, Evariste a imaginé utiliser les six faces d’un dé pour réaliser chaque pixel de l’image, lui conférant ainsi six niveaux possibles d’intensité. Les dés traduisant le hasard, les probabilités et les statistiques, notions si présentes dans le domaine du numérique et donc parfaitement à leur place dans un bâtiment hébergeant la 1ère grande école d’ingénieurs du numérique.

Au final, selon Evariste, et c’est bien également mon avis, son œuvre convoque ainsi « l’intelligence de l’œil et celle de l’esprit ».

Qu’il me soit ici permis d’exprimer mon point de vue et celui des résidents sur la réussite « fonctionnelle » incontestable du mobilier, dont l’usage effectif est bien conforme à l’intention initiale.

A contrario, à l’usage, les roses des vents se sont avérées peu commodes pour s’orienter dans le bâtiment. Qu’importe ! La difficulté à s’orienter dans ses locaux était un élément de l’image de marque de Telecom Paris de l’époque de la rue Barrault et il était finalement heureux que l’on emporte un peu de cette « coquetterie » avec nous à Palaiseau.

Les contraintes comme stimulants de la créativité

Réaliser une œuvre d’art dans le cadre du 1 % artistique, qui plus est une œuvre distribuée dans l’ensemble d’un bâtiment, c’était l’assurance de voir les contraintes se multiplier :

  • l’œuvre devait satisfaire le client, dans sa double dimension esthétique et fonctionnelle ;
  • elle devait respecter la dimension artistique du bâtiment lui-même et donc plaire et respecter l’œuvre des architectes ;
  • elle devait respecter les contraintes techniques et de sécurité du bâtiment, s’intégrer dans un espace qui pouvait lui-même évoluer au fil de sa construction (hauteur sous plafond, percement des cloisons…) ;
  • elle se déployait en même temps qu’intervenaient de multiples corps de métier pour la construction avec un immense besoin de coordination opérationnelle ;
  • enfin, très spécifiquement, le mobilier devait répondre à des exigences de robustesse, de poids (on ne voulait pas qu’il soit trop léger pour ne pas être déplacé trop facilement, voire dérobé), de résistance aux chocs et aux rayures…

Pour Evariste, ces « contraintes ont été dynamisantes » et « ont stimulé sa créativité » au stade de la conception. Au moment de son déploiement, vers la fin du chantier, la multitude d’intervenants a généré une « énergie du chaos » qui a également été stimulante pour l’artiste, de son propre aveu.

Une complémentarité entre les deux réalisations : le bâtiment lui-même et l’œuvre d’art

À revenir ainsi sur les intentions des deux architectes du cabinet Grafton, Yvonne Farrell and Shelley McNamara, à la relecture de leur dossier de candidature, ainsi que sur celles d’Evariste Richer, telles qu’il me les a exprimées ce jour-là, il me semble qu’on peut trouver une heureuse complémentarité entre les deux réalisations :

  • un bâtiment que Grafton Architect a voulu solidement ancré dans son territoire, par le choix d’une couleur ocre alignée sur celle de la terre du plateau de Saclay, mais qui s’élève spirituellement par l’inspiration (déclarée par les architectes) de la cathédrale/mosquée de Cordoue et de l’Abbaye du Thoronet.
  • une œuvre « Infrawind et Métacloud » qui figure l’air et le vent et qui nous élève physiquement jusqu’aux limites de l’atmosphère et ses plus hauts nuages.

Cette complémentarité, que la « distribution » / « dissémination » de l’œuvre d’art dans le bâtiment renforce, n’a jamais été exprimée par les protagonistes de l’époque, que ce soit les deux réalisateurs ou les donneurs d’ordre, mais aujourd’hui, avec le recul et après deux bonnes heures d’échange avec Evariste, elle m’apparaît comme une heureuse évidence, et comme pouvant être une source d’inspiration pour les résidents (personnels et étudiants) et leurs visiteurs ainsi qu’un gage de pérennité pour ce qui pourrait finalement être considéré comme une unique œuvre d’art.


Evariste Richer

Evariste Richer est né en 1969 à Montpellier, France. Il vit et travaille à Paris.

Il est représenté par la galerie Meessen De Clercq, Bruxelles. Nominé au prix Duchamp en 2014, il a participé à de nombreuses expositions au centre Georges Pompidou, au Palais de Tokyo, au Grand palais, au Mucem de Marseille ou au Mudam du Luxembourg, ses œuvres sont également présentes dans de nombreuses collections prestigieuses en France et à l’international.

Projet artistique et sources d’inspiration

Connaisseur et explorateur du champ de l’art et des savoirs, Evariste Richer exprime dans son travail une grande ouverture à toutes les techniques et les échelles des sciences, passant des domaines de la géologie, l’archéologie, l’astronomie, la climatologie ou encore les mathématiques.

Sa pratique artistique s’attache à produire une œuvre aux tentatives de compréhension du monde.

Ses gestes convoquent l’infiniment petit et l’infiniment grand et redéfinissent en permanence les « modèles étalons » de la pensée.

Sensibilisé à l’art conceptuel et à l’arte povera, Evariste dialogue avec de nombreux artistes héritiers de ces périodes expérimentales. Son grand intérêt pour l’architecture et le design comme entre autres Gianni Pettena, Carlo Scarpa, le groupe Superstudio ou même Ettore Sottsas, explique largement pourquoi il avait souhaité répondre à notre appel d’offre.


Le jury du 1 % artistique du projet IMT Palaiseau

Si la loi impose le 1%, elle fixe également des obligations en termes de composition du jury d’attribution de la commande après mise en concurrence. Au cas particulier du projet IMT Palaiseau, le jury comprenait :

Philippe Jamet – Directeur général de l’Institut Mines-Télécom (maître d’ouvrage) et Yves Poilane – Directeur de Télécom Paris (représentant des utilisateurs du bâtiment) ; Philippe O’Sullivan – Grafton Architects (représentant de la maîtrise d’œuvre) ; Emmanuel Michaud – représentant la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France ; Nathalie Mezureux – Directrice de l’École nationale supérieure d’architecture de Lyon (personnalité qualifiée désignée par le maître d’ouvrage) ; Alain Berland - Critique d’art et commissaire d’exposition, responsable pour l’art contemporain du magazine Mouvement (personnalité qualifiée désignée par la DRAC) ; Florence de Ponthaud-Neyrat – Artiste (personnalité qualifiée désignée par la DRAC au titre des organisations professionnelles d’artistes).

Il s’est réuni quatre fois entre janvier et septembre 2017 pour la définition du cahier des charges, l’examen des candidatures puis d’audition des candidats et enfin, le 29 septembre 2017 pour attribution de la commande à Evariste Richer, accompagné d’Alexis Bertrand scénographe et de l’agence Eva Albarran en suivi de production.


Yves POILANE

Ancien élève de l’École Polytechnique, Diplômé Télécom Paris, Ingénieur Général du corps des Mines, a partagé sa carrière entre des postes de management technique et commercial chez l’opérateur historique (France Télécom devenu Orange) et l’enseignement supérieur, public (Télécom Bretagne devenu IMT Atlantique, et Télécom Paris) et privé (Ionis Education Group, 1er groupe privé d’enseignement supérieur français).

 

Auteur

I chose the digital sector back in the early 80's, deeply convinced it was to change the world.

I decided to be a civil servant, in a modern way, adapted to the issues of the late XXth century and early XXIst century.

I went a couple of times from purely general interest activities to more commercial oriented ones. I went through the transformation of ancient French PTT to the modern Orange Telco.

Therefore, my main abilities and interests are in:

-Change Management

-Human Ressources Management

-Management of very large business units.

-Marketing and commercial issues as well as in motivation tools. How to help people to feel good at work.

-Management in a technological context

-Marketing of IT services Voir les 3 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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